Le protectionnisme, une nécessité ?
LE CERCLE. Face à la concurrence déloyale des pays à bas coûts, face aux ravages de la mondialisation sur l’emploi et sur notre tissu industriel, comment doit réagir l’Europe ? Quelles peuvent être ses armes ? Un “protectionnisme intelligent” est-il concevable ?
Yohann Duval
Lundi 19 Mars 2012, une conférence sur le protectionnisme était organisée à l’école de guerre économique. Le dernier livre d’Erik S. Reinert, “Comment les pays riches sont devenus riches et pourquoi les pays pauvres restent pauvres“, était mis à l’honneur et le débat concernait la notion de “protectionnisme intelligent”, thème ardemment défendu par l’un des candidats à l’élection présidentielle.
“Physiocratie” et “anti-physiocratie”
Après une brève introduction de Claude Rochet, pour qui il est impossible de comprendre le présent si on ne connaît pas l’histoire, et qui estime qu’on peut tout démontrer par la théorie dès l’instant où l’on décide de ne plus tenir compte de la réalité, Erik S. Reinert a pu développer sa théorie. D’après lui, la véritable alternative au clivage gauche-droite se trouve dans l’affrontement entre les physiocrates et les anti-physiocrates.
Les physiocrates sont les partisans d’un marché libre, où la fortuna (selon la définition proposée par Machiavel), c’est à dire la chance ou l’imprévu, joue un rôle majeur. Ce mode de fonctionnement, comme en témoignent les événements récents, entraîne inévitablement spéculation et crises financières. Les anti-physiocrates sont les opposants à cette idéologie, c’est à dire les promoteurs d’une intervention humaine (ou virtù), d’une politique industrielle et d’un contrôle du système financier.
Rappelant qu’aucune nation n’est devenue riche sans une période de protectionnisme, il affirme que trop de libre-échange conduit de manière quasi-systématique à de violentes réactions. Il n’hésite ainsi pas à classer les révolutions de 1789 ou de 1848 dans ce cadre de révoltes face à une politique trop influencée par les physiocrates. Constatant les similitudes de ces périodes avec la situation actuelle, il craint qu’un moment de troubles majeurs ne survienne dans les années à venir pour rétablir l’équilibre.
Le choix d’installer ou d’enlever la protection (et le choix de ce qu’il faut protéger) serait donc la décision la plus stratégique à laquelle un État pourrait faire face. Malheureusement, l’occident a oublié ce fait et a commencé à croire sa propre propagande : l’Asie triomphe car les occidentaux ont “désappris” les raisons de leur succès et ont embrassé les thèses de Ricardo. Mais s’il défendait aussi ardemment le libre-échange, c’est parce qu’il voulait que l’Angleterre demeure la seule nation industrielle du monde… ses idées ne convenaient par conséquent qu’à un contexte précis et leur généralisation ne pouvait que mener certaines nations dans l’impasse.
Pour éviter un déclin “à la Venise”, où l’occident ne serait plus qu’un musée érigé en l’honneur de sa gloire passée, il préconise l’instauration d’un protectionnisme intelligent, qui assure l’équilibre entre producteurs et consommateurs et qui permette à chaque pays de maintenir ou de développer une base industrielle. Cela permettrait au passage de diminuer l’importance des guerres de change, qui n’en sont qu’un substitut et qui s’avèrent au final bien pires que les barrières douanières !
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