La taxe Tobin sous le feu de Londres et des banques.
par Laurent Pinsolle
Etant donnée la crise financière que nous avons traversée et les déficits publics auxquels sont confrontés les Etats, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières devrait être une évidence. Cependant, le projet européen avance lentement, du fait de la pression des banques et de Londres.
Une Europe divisée et timide
Le projet de taxation des transactions financières avance lentement. Le Parlement européen avait voté en mars 2011 en faveur d’un tel projet, puis la Commission Européenne a fini par y voir une opportunité pour augmenter ses ressources. Aujourd’hui, 11 pays avancent (dont la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, mais pas la Grande-Bretagne) et la Commission a autorisé ce groupe à mettre en place une taxe de 0,1% sur les achats d’actions et de 0,01% sur les dérivés début 2014.
Tout le problème du projet à l’origine était qu’il suffisait d’acheter ou de vendre en dehors de la zone concernée pour échapper à la taxe. Mais depuis, un nouveau shéma a été mis au point qui concerne désormais toutes les actions ou tous les titres venant du groupe de pays, même si les échanges se font à l’étranger. Comme le rapporte The Economist, si un fond étasunien vend à une banque de Singapour une action européenne, il devrait théoriquement acquitter la taxe.
La Grande Bretagne, rattrapée par ces dispositions, est vent debout contre le projet (que The Economist débine une semaine sur deux) et a demandé à la Cour de Justice Européenne d’y mettre fin ! Le journal britannique développe les arguments des banques, pour qui ce projet mettrait en péril la liquidité des marchés à court terme (moins rentables) et défavoriserait les banques européennes, qui perdraient en compétitivité. Malheureusement, les lobbystes semblent faire un travail efficace auprès du groupe de onze pays pionniers et le projet semble avoir du plomb dans l’aile.
Une mesure essentielle
Pourtant, une taxe sur les transactions financières est une mesure de salut public. Tout d’abord, elle représente un moyen de réduire fortement la spéculation, en renchérissant le coût des échanges. De manière amusante, dans le même numéro de The Economist, la bible des élites néolibérales et financières soulignait que les fonds d’investissement manquaient de stabilité dans leurs investissements et qu’investir pour plus longtemps était un moyen d’améliorer la rentabilité. Or, la mise en place d’une telle taxe est un moyen efficace pour réduire la spéculation, en la renchérissant.
En effet, comme le rapporte The Economist et Olivier Berruyer, alors que les fonds conservaient leurs investissements en moyenne 7 ans dans les années 1960, la durée moyenne de conservation des actions est tombée à moins de un an. Tout le problème est que selon la durée de possession d’une action, la pression n’est pas la même. Un temps trop court pousse à ne pas investir pour l’avenir, voir à piller l’entreprise quand une durée longue pousse à la développer.
Mieux, comme le soulignait Joseph Stiglitz dans « la Grande désillusion », la mise en place d’une telle taxe est aussi le moyen de faire davantage contribuer la finance à la collectivité, ce qui ne serait pas un mal. En revanche, les taux proposés sont trop faibles et il faut viser entre 0,1 et 0,5%. Sachant que les transactions financières représentent 50 fois le PIB mondial, même si cela faisait baisser leur volume de 90%, cela représente une recette potentielle de 10 à 50 milliards d’euros à l’échelle de la France. Mais cela imposera aussi un contrôle des mouvements de capitaux aux frontières.
Il est effarant que rien n’ait été fait depuis 2008, contrairement aux promesses de Nicolas Sarkozy, qui aura encore fait beaucoup de bruits pour rien sur ce sujet. Reste à espérer que le petit projet à l’étude au niveau européen aboutisse, même s’il est largement insuffisant.