La dernière bulle sera-t-elle chinoise ?

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Tandis que nos économistes hexagonaux consacrés par les médias ergotent sur le rebond de la production en France[1], les économistes internationaux rendus vigilants par les crises de 2008 et de 2010 s’interrogent sur le prochain risque majeur pour le système économique mondial. Ils constatent les difficultés sérieuses de la Russie et de l’Inde, le ralentissement du Brésil. Ils s’interrogent surtout à propos de l’opaque économie chinoise qui fournit des indications de plus en plus contradictoires. Formulons de manière la question qui hante leurs recherches : après l’Amérique, après l’Europe, la Chine sera-t-elle le troisième foyer de crise financière et de récession économique ?

La relance chinoise de 2008

Tout vient de la décision prise par les autorités chinoises au printemps 2008. A ce moment, les grands organismes de prévision, tels que le FMI, l’OCDE, la Commission européenne et le Conseil d’analyse économique français nient tout risque de récession. Dans les faits, elle est à l’œuvre dès avril 2008 dans l’intégralité des économies occidentales. Mais, à la différence des économistes occidentaux, leurs homologues chinois diagnostiquent une grave chute de l’activité en Amérique et en Europe. Ce faisant, ils placent le gouvernement et la banque centrale devant un énoncé nouveau pour un pays qui est alors entré dans sa vingt-huitième année consécutive de forte croissance. Car la Chine convertie au capitalisme a adopté d’emblée un modèle de développement basé sur l’exportation[2], d’abord en direction de l’Amérique, puis de l’Europe et des autres continents. La chose aurait du surprendre de la part d’un pays de plus de un milliard d’habitants, offrant potentiellement le marché le plus important de la planète. Mais le choix du Parti communiste rallié n’a été ni critiqué, ni contrarié par les puissances occidentales, émerveillées de voir la Chine s’ouvrir au monde occidental et épouser formellement son modèle, sans s’interroger plus avant sur les desseins des dirigeants de Pékin.

Au fil d’un développement à marche forcée, les exportations chinoises ont fini par représenter quelque trente pour cent du PIB au moment où la récession s’installe en Amérique, en Europe et au Japon. Or, en ce printemps 2008, les dirigeants chinois doivent faire face au recul inéluctable de leurs débouchés en Occident, voire dans les pays producteurs de matières premières, victimes par ricochet de la récession chez nous. Ils optent sans hésiter pour une politique de relance massive appuyée sur le crédit bancaire et sur la création en nombre d’infrastructures nouvelles. Les projets existants de production de logements et de nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse sont amplifiés et accélérés. Les Occidentaux basés en Chine assistent éberlués à l’équipement accéléré d’une Chine milliardaire en habitants. Et les JO de Pékin qui ont lieu cette même année témoignent de la capacité chinoise : les fabricants de baskets et de tee-shirts chers à Pascal Lamy sont aussi les réalisateurs du stade en « nid d’oiseau » où se déroulent les compétitions d’athlétisme. Et de bien d’autres choses.

Les chiffres parlent : quelque 3500 milliards de dollars sont investis, au titre de la relance, dans le logement et les infrastructures dans le cadre de la relance. La croissance chinoise se rapproche à nouveau du chiffre de 10% qui était de rigueur depuis le début de la décennie. Les villes absorbent en quantités croissantes les ruraux qui désertent leurs campagnes. Ces résultats favorables permettent à la classe dirigeante d’échapper à la réprobation de l’opinion qui commence à s’alarmer de la montée des nouveaux riches et des dégâts de la corruption locale et nationale. La propagande nationaliste du régime, qui s’appuie sur ces résultats, trouve alors une résonance importante dans la population.

Mais peu se sont interrogés depuis sur la qualité des investissements réalisés. En Chine, comme ailleurs, en Amérique ou en Europe, l’objectif essentiel était de croître, de créer des emplois,  d’engranger les impôts. Les dirigeants omettent de considérer le fait que la croissance inclut une dose croissante de ce que Hayek appelait le « bad investment » et un excès tendanciel de la dette. Des domaines dans lesquels les chiffres parlent aussi avec éloquence. La part de l’investissement dans le PIB s’élève de 36% à plus de 50% en l’espace de cinq années[3]. La dette globale explose : encore située à 115% du PIB en 2008, elle dépasse le double du PIB en 2012. Ce chiffre rapproche la Chine des pays occidentaux dont la dette globale représente près ou plus de trois fois le PIB. Avec une différence majeure, la dette chinoise étant concentrée dans les entreprises et les collectivités territoriales, alors que la nôtre inclut une dette importante de l’Etat national.

En l’an de grâce 2013, le climat a changé. Les responsables chinois placés sous l’autorité du président Xi élu l’an dernier admettent rencontrer une difficulté majeure du fait de la masse de dette accumulée et des risques d’insolvabilité croissants au sein de l’économie. Ils prennent des mesures dirigistes pour freiner la spéculation immobilière qui sévit dans toutes les villes. Dans ce contexte, la Banque populaire de Chine, a tenté début juin 2013, de durcir les conditions d’accès des banques à ses guichets. Mais son action déclenche un séisme instantané : l’espace de quelques jours, les banques chinoises cessent de se prêter les unes aux autres, situation qui reproduit celles des Etats-Unis et de l’Europe en 2007 et 2008. Alors, pour rétablir la confiance, la Banque Populaire de Chine s’est résignée à injecter en quantité des liquidités nouvelles[4].

Les « shadow  banks » stigmate de la bulle du crédit chinoise

Observées de loin, les turbulences chinoises ressemblent à un remake des turbulences occidentales des années précédentes. Emballement du crédit, montée des prix des immeubles, malaise consécutif sur le marché du crédit interbancaire, rien dans le processus à l’œuvre en Chine ne paraît bien nouveau. Rappelons cependant que la décision d’investir massivement est venu d’en haut, concrétisant la volonté expresse des autorités d’échapper à un fort ralentissement économique qui aurait interrompu la création d’emplois par millions[5]. Insistons aussi sur le fait que cette décision n’entre pas dans le cadre d’une politique dite keynésienne, qui cherche à répondre à une récession ou à une dépression déjà installée au sein de l’économie chinoise. Elle répond en fait à notre récession, dont elle cherche à combattre les effets sur la machine économique locale.

Mais il existe bel et bien une spécificité de la bulle du crédit qui s’est formée ces derniers temps. Elle est offerte par les « shadow banks ». Leur titre est passablement trompeur puisque les banques concernées agissent au grand jour. Tout Chinois qui le souhaite peut accéder à leurs guichets, y déposer son épargne ou y demander un prêt. Mais elles ne s’inscrivent pas dans le cadre légal défini pour les autres banques, à capitaux d’Etat, et ne peuvent accéder ni aux guichets de la Banque populaire de Chine, ni au marché interbancaire où opèrent leurs grandes consoeurs plus anciennes. Leurs activités sont tolérées, voire encouragées, par les autorités publiques, sans bénéficier des conditions d’accès au crédit du système bancaire classique.

Elles ont rempli et remplissent encore une fonction particulière au sein de l’économie, en offrant une forte rémunération aux épargnants- c’est l’avantage dont elles disposent. Si les dirigeants de Pékin ont donné leur bénédiction aux « shadow banks », c’est parce qu’elles jouaient le rôle d’une soupape de sûreté, auprès d’un public d’épargnants qui auraient mal accepté de ne pouvoir faire fructifier leurs avoirs. D’ailleurs, les banques classiques, faute de pouvoir offrir de bons rendements à leurs épargnants, ont souvent pris l’initiative d’orienter leurs clients vers ces nouvelles banques..

Ces « shadow banks » ont été des acteurs essentiels de la grande relance opérée depuis 2008. D’abord en drainant une épargne qui aurait pu s’échapper du système économique, ensuite et surtout en recyclant cette épargne vers des entreprises ambitieuses, décidées à prendre de grands risques. Leur modèle économique a reposé sur le principe simple de prêts à taux très élevés, proches de 20%, investis dans la construction, les infrastructures, et une masse d’entreprises qui fournissent le ciment, l’acier et le bitume nécessaires. Ce modèle a tenu quatre ans durant, avant de toucher ses limites. Les mauvais débiteurs, entreprises ou collectivités territoriales, se révèlent[6].

Le moment est venu de reformuler la question de départ. Va-t-on assister à une troisième crise financière, dont l’épicentre est en Chine, plus précisément située dans le domaine de l’investissement et des crédits qu’il a mobilisés ? Ou bien le gouvernement et la banque centrale peuvent-ils reprendre le contrôle de la situation, avec les moyens dont dispose un gouvernement dictatorial et une banque centrale qui n’est pas l’otage des marchés financiers occidentaux, comme le sont les nôtres ?

Les deux réponses, pessimiste ou optimiste, sont recevables, avec les informations disponibles en cette rentrée 2013. Celles-ci indiquent que les autorités chinoises ont pris conscience de la gravité de la situation et s’emploient à ralentir le rythme des nouveaux crédits. Cela signifie que l’investissement lié à la grande relance de 2008 entre, en toute hypothèse, dans une phase de repli : un nouveau ralentissement de la machine chinoise se produira à brève échéance. Même si la bulle chinoise devait se résorber sans éclater, l’essor économique ne sera plus ce qu’il était. Une nouvelle ère semble se dessiner pou la Chine. Et pour nous avec elle.

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[1] O, 5% au total, mais 0,2% si l’on défalque l’accroissement des stocks et la production d’énergie liée au printemps pourri.

[2] On voit de mieux en mieux au fil des années que ce modèle, dit mercantiliste, repose sur une ambition politique : replacer l’Empire du Milieu dans sa position historique de plus grande puissance économique, comme il l’était encore au dix-huitième siècle.

[3] A titre de comparaison, il oscille entre 16% et 20% dans les pays occidentaux.

[4] Le taux des prêts sur le marché interbancaire venait d’atteindre le chiffre de 14% !

[5] Encore douze millions d’emplois auraient été créés au premier semestre de cette année.

[6] Le montant des crédits accordés par les « shadow banks » représente un tiers du total dont on a dit qu’il avait fortement augmenté.

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