Une fois n’est pas coutume, je suis en désaccord avec cette tribune de Jacques Sapir. Quel besoin de ce coup de patte – classique – au “pouvoir gaulliste” en 1968, classique dans la culture de “gauche” à laquelle j’ai un temps appartenu, mais je n’ai jamais partagée sa haine du Général et quittée bien plus tôt que Jacques. Le dit “pouvoir gaulliste” ne maîtrisait que l’ORTF, et encore, juste le Journal télévisé qui était considéré comme “la voix de la France”, tandis que la culture était gérée par les communistes avec les superbes émissions hstoriques de Stelio Lorenzi. Toute la presse écrite (qui se lisait beaucoup à cette époque) était d’opposition, ainsi que les radios périphériques (Europe 1, RTL, RMC…), et faisait les yeux doux à la “révolte étudiante”, soit les fils et filles de grands bourgeois au pouvoir aujourd’hui. Le “pouvoir gaulliste” n’a jamais eu le monopole de l’information et le fait qu’il en détint un ministère n’était que le légitime contrepoids à cette situation. On sait aujourd’hui que mai 68 (le mai 68 étudiant) était une répétition avant l’heure des révolutions de couleur pour faire tomber Charles de Gaulle, ce qui fut malheureusement fait. Il est par contre tout à fait opportun de souligner le rôle de RT pour donner une information non trafiquée aujourd’hui, mais la situation n’est en rien comparable à 1968 où les sources d’information étaient abondantes.
Quant au cas de Christophe Dettinger, l’ancien praticien d’arts martiaux que je suis n’a pu qu’admirer son “fight” à poings nus avec le gendarme mobile encarapaçonné, qui suivait les règles du combat et était de bon aloi. Par contre, son agression à coups de pieds dans la tête contre le gendarme couché à terre est inacceptable et délictuelle, à charge pour le Tribunal de prendre en compte l’ensemble des circonstances pour rechercher d’éventuelles circonstances atténuantes.
L’acte de Christophe Dettinger ne saurait être justifié a posteriori par le comportement de la “justice ” qui décide de son maitien en détention aux motifs des “risques de réitération” et de non “présentation à l’audience de jugement”. C. Dettinger s’est livré de lui-même et a reconnu sa faute et quant au “risque de réitération” le rappeur raciste absous par la justice le présente sans doute beaucoup plus, et le ministre Castaner d’autant plus.
Quant au besoin de convoquer les nazis dans cette histoire, on critique assez les oligarques pour leurs références incongrues au nazisme pour en pas les suivre dans cette voie.
Pour le reste, oui, notre jeune Roi développe vraiment une pathologie inquiétante. On juge la valeur d’un dirigeant à celle de ceux dont il s’entoure. Or, ce monsieur a veillé à ne s’entourer que de médiocres, depuis ces députés incultes sortis de nulle part qui sont tout juste capables de lire les éléments de langage qu’on leur a préparés, quand ils ne sont pas incapables d’aligner une phrase, comme la ministre du travail. Castaner a fait ses classes dans l’environnement du caïd marseillais Gaétan Zampa, sans parler de la relation fusionnelle que le petit prince président entretient avec Alexandre Bennalla. On pourrait continuer la liste.
Mais la corruption de l’un ne fait pas de l’autre un héros.
CR
Pour l’honneur de Christophe Dettinger et sur le déshonneur d’Emmanuel Macron, président de la République
Pr Jacques Sapir,
Nous vivons une période sombre. Il y a dans certains propos officiels, dans certains discours, comme des remontées d’égouts, nauséabondes et pleines de miasmes. Emmanuel Macron, Président de la république s’est livré à l’exercice du « off », c’est à dire une discussion à battons rompus, avec les journalistes, soi-disant pour casser son image d’homme distant et peu enclin à se livrer à la presse. Plusieurs magazines, dont le Point[1], en ont rendu compte.
Un complotisme de caniveau
Il est clair qu’Emmanuel Macron nage, ou l’on peut aussi dire coule, en plein délire complotiste. Incapable de se remettre en cause, et de remettre en cause sa politique, il accuse l’étranger, et la Russie en particulier, de téléguider le mouvement des Gilets Jaunes. Ce serait risible si cela n’en devenait inquiétant. Le Président est en pleine « bunkerisation », un terme qui fut inventé lors des dernières années de la vie de Franco, en Espagne. Voir un homme, encore jeune, sombrer ainsi en dit beaucoup sur sa déchéance.
Car Emmanuel Macron n’a pas de mémoire ni, à l’évidence, de sens commun. Si nous devions le suivre dans ses errements, alors il nous faudrait considérer que le Luxembourg était responsable des événements de 1968. En effet, RTL, à l’époque avec un statut particulier de « radio périphérique » puisque son émetteur n’était pas en France, rendait compte avec une certaine sincérité des manifestations. Elle y gagna le sobriquet temporaire de « Radio émeute »[2]. Face à l’ORTF, qui était verrouillé par le pouvoir gaulliste, RTL a montré sa force grâce au professionnalisme, mais aussi au courage physique, de ses journalistes. A son écoute, la France a suivi, le jour et surtout la nuit, le cours des événements. Ce que nous dit le rôle pris par RT (Russia Today) et Sputnik, c’est bien le retour à une information cadenassée, mais cette fois indirectement et l’on n’insistera jamais assez sur le rôle des oligarques des médias et la consanguinité d’Emmanuel Macron avec eux, par le pouvoir. Alors, il ne faut s’étonner si des médias qui ne sont pas aux ordres de ce pouvoir acquièrent une nouvelle popularité !
La déchéance et le déshonneur
Mais, ces propos tenus jeudi 31 janvier nous révèlent aussi autre chose que la déchéance intellectuelle d’un homme : le déshonneur d’Emmanuel Macron.
Revenant sur le cas de Christophe Dettinger, surnommé le « boxeur » et qui est toujours en détention provisoire dans l’attente de son procès (qui aura lieu le 13 février) notre Président a lâché : « Le type, il n’a pas les mots d’un Gitan. Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan ». Il faisait à l’évidence référence à la vidéo ou Christophe Dettinger dit regretter ses actes de violence contre les forces de l’ordre. De cette vidéo retenons donc les propos : « J’ai vu la répression qu’il y a eue, j’ai vu la police nous gazer. J’ai vu la police faire mal à des gens avec des Flash-Ball. J’ai vu des gens blessés, j’ai vu plein de trucs. Moi je suis un citoyen normal, je travaille, j’arrive à finir mes fins de mois, mais c’est compliqué. […] Je suis un gilet jaune. J’ai la colère du peuple qui est en moi. Je vois tous ces présidents, ces ministres, l’État… se gaver, ils ne montrent pas l’exemple. C’est toujours nous, les petits, qui payons“[3]. Ces mots sont ceux, spontanés, de quelqu’un qui a participé à une manifestation. Pourquoi dire alors, comme Emmanuel Macron que « Il n’a pas les mots d’un boxeur gitan » ?
Sans doute, pour notre Président, un « boxeur gitan » se doit de ne s’exprimer que par borborygmes, de tenir des propos sans queue ni tête. On mesure bien tous les préjugés, tout le mépris de classe, qui ressortent d’un coup sur les « gens qui ne sont rien », pour reprendre la formule même d’Emmanuel Macron, sur les gitans, considérés comme des citoyens de second ordre. Il en a donné un autre exemple avec ses propos sur « Jojo, le gilet jaune ». Disons le tout net, penser comme cela est du racisme, ni plus ni moins. Ce sont les mêmes préjugés racistes, ici mâtinés à l’évidence de préjugés de classe, qui ressortaient des discours tenus par les représentants de la bourgeoisie contre les juifs dans les années 1930 ou bien contre les italiens au tout début du XXème siècle. Ces préjugés participent d’un discours de haine. Nous avons donc un Président ouvertement raciste. C’est une triste nouveauté.
Gitans, Tsiganes, et la démarche exterminatrice des nazis
Cela est d’autant plus graves que les gitans, dont certains sont français depuis au moins le XVème siècle (soit dit en passant depuis plus longtemps que moi, qui suis issu d’une mère vençoise, et donc française depuis Napoléon III et d’un père russe, naturalisé en 1938), ont été les victimes de l’idéologie nazie durant la seconde guerre mondiale[4]. La communauté française des gitans, dont la population est estimée à 42 000 membres en 1939, a compté entre 14000 et 15000 morts dans les camps ou du fait des allemands et de la police de Vichy[5]. C’est ce que Christian Bernadac appelle l’Holocauste oublié[6]. Verrait-on Emmanuel Macron dire de quelqu’un « il n’a pas mots d’un juif », révélant ainsi à travers l’essentialisation d’une personne son antisémitisme ? Non, bien évidemment, et c’est encore heureux. Pourtant, c’est très exactement de cela que notre Président s’est rendu coupable à l’égard de tous les gitans de France.
Christophe Dettinger concentre donc sur sa personne tant la basse vengeance politicienne d’une pouvoir aux abois, qui le maintient abusivement en détention provisoire, que le mépris et les préjugés racistes qui, au-delà de sa personne, sont une injure pour tous les gitans.
C’est pourquoi, et cela quoi que l’on puisse penser des gestes dont il s’est rendu coupable lors de la manifestation de janvier, j’appelle tous ceux qui me font l’honneur de me lire à écrire à Christophe Dettinger :
Christophe Dettinger
N* d’écrou 448837
Maison d’arrêt
7, av. des Peupliers
91700 FLEURY MEROGIS
Montrons ainsi que nous refusons de nous associer aux actes et aux paroles du Président de la République et que nous sommes solidaires d’un homme dont on veut faire un exemple, ce qui est contraire au droit, et que l’on calomnie et insulte dans ce qu’il est et non dans ce qu’il a fait.
Je mets ici la copie de la lettre que je lui ai envoyée, avant même ces événements, le 28 janvier.
Notes
[1] https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/macron-gilets-jaunes-eric-drouet-est-un-produit-mediatique-01-02-2019-2290611_1897.php
[2] https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/mai-68-le-meilleur-des-ondes_1046098_1004868.html
[3] https://www.lexpress.fr/actualite/politique/macron-le-boxeur-christophe-dettinger-etait-conseille-par-l-extreme-gauche-car-il-n-a-pas-les-mots-d-un-gitan_2060367.html
[4] Lewy G., La Persécution des Tsiganes par les nazis, Paris, Les Belles Lettres, 2003
[5] Kenrick D. et Puxon G., Destins gitans : des origines à la solution finale, Paris, éd. Calmann-Lévy, coll.
« Archives des sciences sociales », 1974.
[6] Bernadac C. (éd.), L’Holocauste oublié. Le massacre des Tsiganes, Paris, éd. France-Empire, 1979
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