On reconnaît l’appartenance aux classes supérieures à un certain style peu accessible aux classes qui ne le sont pas, supérieures. Un style fait de subtilité de la pensée, de vocabulaire raffiné, de jugements qui pèsent le pour, le contre et savent se situer au-dessus de la mêlée et se gardent de toute position qui pourrait être considérée comme extrémiste. Chez les gens bien, monsieur, on est modéré, on est au-dessus de ça. Et naturellement on lit Le Monde, le quotidien des gens distingués. Cette affaire des gilets jaunes nous permet d’apprécier dans leur jus la subtilité qui fait que les classes supérieures sont vraiment supérieures.
CR
Quand les lecteurs du Monde se lâchent sur les salauds de pauvres…
C’est un article du Monde qui fait honneur à ce journal. Il y a quelques jours, le quotidien avait dressé le portrait détaillé d’un couple de Gilets jaunes. Arnaud et Jessica, 26 ans chacun, quatre enfants et un chien.
Mille commentaires suite à cet article et des centaines d’autres sur Facebook et Twitter. “Un déferlement” écrit Le Monde. Un déferlement de quoi ? De haine, de mépris, et de condescendance.
Les lecteurs du Monde ont été choqués qu’on leur impose des spécimens humains qui mangent des lentilles agrémentées d’une saucisse de Morteau, alors qu’eux boivent tranquillement leur thé de chez Mariage Frères et picorent délicatement des macarons estampillés Ladurée.
Très honnêtement, et sans doute un peu effaré, Le Monde rend compte de ce qui se passe dans les entrailles de ceux dont il a troublé la digestion. Ses lecteurs ont été scandalisés par le montant des allocations familiales que reçoivent Arnaud et Jessica : 914 euros. Il ne leur a pas effleuré l’esprit que les riches touchent la même somme s’ils ont quatre enfants.
Ils sont choqués par le fait qu’à 26 ans, le couple de Gilets jaunes a quatre enfants. Les aurait-il fait par amour ? Non : certainement pour toucher les allocs ! En plus, ils ont un chien. Et un chien ça coûte cher, se lamentent les lecteurs du Monde. C’est sûr, Arnaud et Jessica devraient donner ses croquettes à leurs enfants…
Autre reproche : les pauvres ne savent pas gérer leur budget. Il est formulé, entre autres, par un lecteur qui proclame fièrement qu’il paye 1 200 euros d’impôts par mois. Fort de ce sacrifice, il s’estime en droit de contrôler les dépenses du jeune couple. Rien n’a changé depuis Germinal. À cette époque, les riches étaient persuadés que les pauvres allaient dépenser les francs qu’ils leur donnaient au troquet où ils se saoulaient à mort à l’absinthe. Aujourd’hui, ce n’est pas mieux : le pauvre va au McDo, parfois au cinéma, et met du diesel dans sa voiture.
Interrogé par Le Monde sur cette méprisante déferlante, le directeur de l’Observatoire des inégalités y voit l’expression d’une “haine sociale”. Les lecteurs du Monde se recrutent en effet dans la classe supérieure.
Oui, le bourgeois reste un bourgeois. Celui du XXIe siècle n’a rien à envier dans l’exercice de sa morgue à celui du XIXe. Il dit hautement qu’il vaut mieux faire envie que pitié. Que si les pauvres sont pauvres, c’est de leur faute. Et que de toute façon, les pauvres ne sont pas si pauvres que ça.
Ainsi fonctionne aujourd’hui en France la lutte des classes théorisée par ce bon vieux Marx. Et comme le montrent les lecteurs du Monde, elle s’exerce dans toute sa splendeur du haut vers le bas.