L’intelligence iconomique, les nouveaux modèles d’affaires de la III° révolution industrielle

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Paru en septembre 2015: Je mets en ligne l’introduction et les chapitres que j’ai rédigés  pour le livre dont j’ai dirigé la publication et la rédaction avec Michel Volle, dans le cadre de l’Institut de l’iconomie, hébergé par Xerfi. Notre ambition a été de réunir les meilleurs connaisseurs de cette mutation fondamentale liée à l’informatisation de l’économie, qui n’est pas qu’une question technique, loin s’en faut, mais surtout une question de transformation institutionnelle et sociale qui concerne les enjeux fondamentaux de nos sociétés. Nous balayons dans ce livre les enjeux historiques des révolutions industrielles, proposons une définition précise et opérationnelle de l’iconomie illustrée par de nombreux exemples.

Le récit de la conception des langages de programmation et de la construction de l’hégémonie américaine par le professeur Jacques Printz – qui a été un des acteurs de ce débat – n’avait jamais été écrit: il montre comment l’incompétence narcissique de nos élites qui refusent de comprendre les enjeux des grandes mutations historiques a fait sortir la France de l’histoire alors que sur le plan technique nous étions les meilleurs. Mais voilà: à force de tout réduire à des questions techniques on perd de vue les questions politiques et on passe sous la domination de ceux qui ont une véritable stratégie de puissance, ce qui n’est pas le cas de la France, trahie par ses élites et fascinée par sa propre soumission à un supposé ordre mondial, cas unique dans le monde actuel où tous les pays cherchent construire leur leadership dans ce nouveau contexte.

J’y reviens sur mes travaux sur la conception des villes intelligentes, en soulignant les opportunités qu’offrent l’iconomie pour repenser la ville, mais aussi en soulignant les dangers des approches techno-lyriques des marchands de technologie, dans la quelle embarques des élus pressés de donner un vernis de modernité à leur inculture, leur ignorance et leur lâcheté.

L’ouvrage est illustré de nombreux cas, comme celui de l’informatique criminelle qui a construit un pouvoir considérable.

Aucune révolution, qu’elle soit technologique ou politique, n’annonce et ne conduit en elle-même à des “lendemains qui chantent”. Tout cela requiert connaissance de l’histoire , vaste culture et surtout souci du bien commun, valeur vouée aujourd’hui aux gémonies.

En conclusion, tout en soulignant les opportunités qu’offre la transition vers l’iconomie, ce livre trace des perspectives pessimistes pour la France, qui n’est pas outillée intellectuellement pour relever ces enjeux, alors qu’elle l’est techniquement.

Ont participé à cet ouvrage: Jacques Printz, Jean-Pierre Corniou, Laurent Bloch, Pierre-jean Benghozi, Francis Jacq

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Chapitres:


L’intelligence Iconomique

Edité par Claude Rochet et Michel Volle

Les nouveaux modèles d’affaires de la III° révolution industrielle

De Boeck Université – Louvain

En librairie le 7 septembre 2015

 

Introduction

Par Claude Rochet

 

Vers 1770 en Angleterre, la productivité de l’économie se met à croître dans des proportions considérables, bouleversant non seulement l’organisation de l’économie mais celle de toute la société et les rapports de forces géopolitiques mondiaux. La première révolution industrielle, celle de la mécanisation, met en avant un phénomène récurrent : une convergence entre une technologie nouvelle et une évolution des modes de production provoque une forte progression de la productivité dans un secteur porteur qui transforme l’ensemble de l’économie, la société et la répartition des richesses entre les nations.

Ce mode de production a à son tour été bouleversé par la II° révolution industrielle au XIX° et XX° siècles (chimie, électricité et production de masse) qui a vu le leadership de l’Angleterre supplanté par celui des États-Unis avec l’apparition de la grande entreprise. Nous sommes entrés vers 1975 dans un cycle technologique nouveau, celui de la III° révolution industrielle basée sur les technologies de l’information et qui nous oriente vers l’iconomie, c’est-à-dire vers une société dont l’économie, les institutions et les modes de vie s’appuient sur la synergie de la microélectronique, du logiciel et de l’Internet.

Chacune de ces révolutions industrielles a connu ses entrepreneurs et ses héros, a entraîné un accroissement de la richesse matérielle et, simultanément, des inégalités sociales avant que,  les choses se stabilisant, le progrès bénéficie à l’ensemble d’une société  dont les rapports sociaux et l’organisation politique ont été profondément transformés selon un processus marqué par des luttes sociales parfois violentes et aussi par des guerres.

Le progrès de la connaissance historique nous permet aujourd’hui de comprendre la dynamique de ces révolutions. Il a fallu un siècle pour que le concept de « révolution industrielle » apparaisse sous la plume d’Arnold Toynbee dans ses Lectures on the Industrial Revolution de 1884. S’il a fallu une centaine d’années à Toynbee, c’est qu’une telle révolution « n’éclate pas »  de manière spectaculaire comme le fait une révolution politique. Révolution veut dire rupture, cela veut dire que le nouveau ne découle pas de l’ancien même s’il s’inscrit dans son histoire. Schumpeter a décrit ce phénomène dans sa Théorie de l’évolution économique (1911) : « En règle générale, le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais apparaît à côté de l’ancien, lui fait concurrence jusqu’à le ruiner, et modifie toutes les situations de sorte qu’un « processus de mise en ordre » est nécessaire ». L’électricité n’est pas née de l’amélioration de la bougie, ni l’informatique du perfectionnement de la mécanographie. La transformation est à la fois radicale et progressive. La société qui subit une révolution industrielle ne connaît pas un changement d’intensité et de taille : elle est bouleversée par les effets du nouveau système technique jusque dans ses modes de vie, ses hiérarchies sociales, ses compétences et son poids dans le concert des nations.

Certaines technologies deviennent génériques, qu’elles soit techniques comme l’électricité ou la chimie, ou organisationnelles comme la production de masse inventée par Henry Ford en 1908 puis le système Toyota qui a permis au Japon de détrôner dans les années 1970 le leadership américain dans l’industrie automobile et de redevenir une grande puissance industrielle. Ces technologies se déploient en grappes d’innovations qui impactent toutes les activités.

Il n’est pas aisé de prévoir si une technologie deviendra générique : avant de fonder le système de transport qui a introduit « la mort de la distance », le rail n’a été qu’une technique qui facilitait l’utilisation de wagonnets pour extraire le minerais des mines. On a cru que le nucléaire pourrait résoudre le problème de la rareté énergétique, on voit aujourd’hui qu’il n’en sera rien. Cette cécité devant l’avenir d’une technologie se retrouve à chaque révolution industrielle. Elle a pour pendant le lyrisme technologique qui fait promettre monts et merveilles à une technologie nouvelle : l’électricité était censée libérer les budgets ouvriers du fardeau de la chandelle, produit coûteux : elle permettra plutôt l’allongement de la journée de travail, l’augmentation des cadences et l’aggravation de la condition ouvrière. Les années 1990 ont été celle du magazine Wired  qui voyait dans l’Internet un monde de liberté et de paix sans États, sans frontières : nous voyons ce qu’il en advient.

Ces révolutions sont le fruit de bonds dans la connaissance et de la capacité à la transformer en applications pratiques, à transformer l’invention en innovation. La première révolution industrielle n’a pas été fondée sur une percée technologique, car on connaissait la machine à vapeur depuis l’Antiquité, mais sur un faisceau d’améliorations incrémentales dans les arts de l’artisan, des grappes de micro-inventions dans la métallurgie et le tissage, qui sont le fruit d’un climat intellectuel favorable lié au progrès des sciences. Celles-ci n’étaient pas cloisonnées par disciplines : Pascal était autant philosophe que mathématicien et le développement des Académies – la Royal Society en Angleterre, l’Académie des sciences en France – soutenu par l’Etat a permis de développer une approche pluridisciplinaire de la science et a favorisé son dialogue avec les artisans inventeurs pour résoudre les problèmes qui se posaient à l’économie, branche qui se distinguait peu d’une politique de puissance des Etats[1]. Cela a créé en Europe le climat d’émulation qu’a superbement analysé par Sophus Reinert[2] où science, stratégie de puissance et industrie étaient étroitement imbriquées.

Il est donc important de comprendre d’une part la dynamique d’une révolution industrielle et comment l’on reconnaît que l’on est bien dans une révolution industrielle et non dans un simple changement technique, et d’autre part quelle est la spécificité de la III° révolution industrielle, celle de l’économie informatisée : l’iconomie.

Ces révolutions prennent la forme de cycles en « S » qui ont une régularité historiquement et statistiquement constatée de 50 à 60 ans qu’il faut apprendre à lire. Si l’ordinateur est inventé en 1945, il ne devient la technologie générique d’une révolution industrielle qu’avec la naissance du logiciel comme industrie logique des machines puis à partir de 1971 avec l’invention du micro-processeur qui va permettre son expansion, enfin dans les années 1990 avec l’expansion de l’Internet. La première étape, pénible, est celle du démarrage lors de laquelle les entreprises, les institutions et les personnes n’ont pas encore appris à exploiter les possibilités nouvelles, ni à éviter les risques qui les accompagnent : sortir de la crise de transition suppose de connaître et de mettre en œuvre les conditions de l’efficacité dans l’Iconomie pour retrouver une dynamique de forte croissance semblable à celle que nous avons connue lors des Trente glorieuses.

Le professeur danois B.A. Lundvall raconte que lorsqu’il était  dans les années 1980 conseiller du Français Jean-Claude Paye, alors secrétaire général de l’OCDE, il n’avait de cesse de l’alerter sur l’arrivée d’une troisième révolution industrielle basée sur les technologies de l’information qui allaient remettre en cause la conception dominante du développement. Il n’a été entendu qu’au jour où, revenant d’une réunion à New-York avec Alan Greenspan, M. Paye s’est complètement converti à la « nouvelle économie » parce que l’idéologie néolibérale s’était mise à arguer de l’arrivée des technologies de l’information pour justifier les privatisations du secteur public et autres « réformes structurelles ». L’idée d’une III° révolution industrielle n’a donc été admise qu’autant qu’elle s’inscrivait dans les canons de l’économie dominante. Or ces canons de l’économie classiques et néoclassiques sont les mêmes depuis le début du XIX° siècle et sont construits autour d’une seule obsession : démontrer que le marché est en équilibre et constitue un système auto-régulateur. Cette école de pensée est fortement contestée pour être déconnectée de la réalité, ne pas expliques le développement passé[3] et ne pas être capable de tirer le potentiel à venir de l’iconomie.

Une révolution industrielle bouleverse la manière de penser,  le paradigme[4] dominant. Or, une pensée dominante s’appuie, du fait même qu’elle est dominante, sur des mécanismes sociologiques qui incitent à refuser toute nouvelle manière de penser. Savoir penser les conséquences du nouveau système technique, savoir résister à la pression de la pensée dominante, cela ne veut pas dire que l’on rejette le passé et ses leçons. Ce livre entend s’inscrire pour construire un rapport raisonné au réel dans l’héritage de la devise des Lumières Sapere Audere, formulée par Emmanuel Kant « Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » [5] pour construire un rapport raisonné au réel. Il se propose de présenter de manière pédagogique la dynamique, les enjeux, les éléments du nouveau paradigme et les modes opératoires de la transition vers l’iconomie.

L’Institut de l’iconomie réunit des chercheurs, des professionnels de l’industrie et de l’Administration qui entendent contribuer à la naissance de la pensée stratégique qui permettra à la France de tirer pleinement parti de la troisième révolution industrielle en élucidant les conditions de son efficacité.

Il ne prétend pas donner une définition exhaustive de l’iconomie ni de tous les problèmes qu’elle pose, mais de développer une intelligence de l’iconomie. Une discipline ancienne[6] a fait son retour en France et dans les pays industrialisés dans les années 1990 : l’intelligence économique. Cette discipline a permis de mettre en évidence que la matière première de l’industrie et de la compétitivité est l’information : il s’agit d’une part à comprendre l’environnement géopolitique et concurrentiel et d’autre part de détecter les mouvements stratégiques des acteurs pour les anticiper, les accompagner et éventuellement les contrer. Bien souvent réduit à tort à de la simple veille, l’intelligence économique n‘a de sens que si elle s’inscrit dans une compréhension globale de la dynamique à l’œuvre, si elle est une intelligence globale de l’architecture des relations entre les acteurs du développement économique et social : État, entreprises, système éducatif, associations, organisations professionnelles… Dans l’économie informatisée les communications au sein de ce système sont beaucoup plus intenses en rapidité et en quantité et les données deviennent la matière première essentielle : depuis 1975 les capacités de stockage et de traitement informatiques ont été multipliées[7], elles vont croître encore avec le développement de l’Internet des objets.

Nous appelons iconomie la représentation d’une société où l’ensemble des technologies de traitement et de stockage des données est mis au service de la production de compétences, c’est-à-dire de connaissances orientées vers l’action, et de formes d’organisation et de vie sociale favorisant la recherche du Bien commun. L’intelligence iconomique est donc la discipline qui permet de penser le développement dans la III° révolution industrielle.

Nous n’avons pas la prétention, à ce stade, d’en définir les contours de manière exhaustive : nous estimons n’être qu’au démarrage de cette III° révolution industrielle, au cœur de la crise de transition, et les leçons de l’histoire incitent à la prudence quant à son issue. Mais nous pouvons en définir les traits structurants dont la connaissance est nécessaire à une conduite raisonnée dans ce nouveau paradigme.

La première partie définit ce qu’est une révolution industrielle, les particularités de l’iconomie et les changements qu’elle induit dans les modèles d’affaires des firmes. « Play it again Sam… » expose les éléments de continuité et de rupture d’une révolution industrielle à l’autre. Les « Eléments de théorie iconomique » abordent l’iconomie comme un idéal-type[8] d’une économie informatisée parvenu à maturité afin de définir les conditions nécessaires de l’efficacité.

La seconde partie présente plusieurs cas de nouveaux modèles d’affaires qui illustrent le caractère révolutionnaire de l’iconomie. Celui de la ville intelligente : la smart city n’est-elle que la ville actuelle plus de l’informatique, des capteurs, des systèmes automatisés ou est-elle autre chose, ce qui suppose de concevoir autrement la ville et implique une évolution du management public ? Comme toute révolution industrielle, l’informatisation bouleverse les rapports de puissance et suscite une nouvelle géopolitique dans laquelle nous devons être capables de concevoir une stratégie d’influence. De nouvelles technologies font naître par ailleurs de nouvelles formes de criminalité, qui trouvent un soutien efficace dans la finance informatisée.

La troisième partie présente les nouveaux modèles d’affaires de l’iconomie, illustrés par le cas d’Alibaba. Qui dit nouveau modèle d’affaire dit stratégie de verrouillage par les normes, que nous illustrons par l’histoire du développement des langages de programmation informatique. D’apparence technique, les normes conditionnent le développement et le contrôle des marchés : un sujet d’actualité quand se négocie dans l’opacité le Traité transatlantique.

On conclut en ouvrant le débat sur les capacités de notre cher et vieux pays, la France, historiquement mal aimée de ses élites, à rester une grande puissance dans l’iconomie.


 

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[1] Voir Rochet, Claude « [amazon_link id=”2296029078″ target=”_blank” ]L’innovation une affaire d’Etat [/amazon_link]», L’Harmattan 2007

[2] Reinert, Sophus « [amazon_link id=”0674061519″ target=”_blank” ]Translating Empire, Emulation and the Origins of Political Economy [/amazon_link]», Harvard University Press, 2011

[3] Voir Erik Reinert « [amazon_link id=”2268072908″ target=”_blank” ]Comment les pays riches sont devenus riches et pourquoi les pays pauvres restent pauvres [/amazon_link]», Ed. Du RocheR 2012

[4] Un paradigme est une représentation du monde, une manière cohérente de penser et de dire ce qui est « normal » et ce qui ne l’est pas. C’est une sorte de rail de la pensée qui cadre l’acceptabilité des idées et, le cas échéant, peut aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées. Le progrès des sciences et l’innovation, dès lors qu’ils introduisent des ruptures, proviennent toujours de la mise en question du paradigme dominant.

[5] Qu’est-ce que les Lumières ? 1784

[6] Elle est née en 1474 à Venise avec la première loi sur la propriété intellectuelle.

[7] L’année 2002 voit le stockage numérique l’emporter sur le stockage analogique (les bandes magnétiques) ce qui fait sauter une limite physique… en en créant une autre à venir : l’impact du fonctionnement des centres de données sur l’environnement avec ‘énergie qu’ils consomment et la chaleur qu’ils produisent.

[8] Un idéal-type, tel que défini par le sociologue Max Weber, est une abstraction de la réalité pour en décrire les grandes lignes. On peut ainsi décrire à grands traits « la bureaucratie » sans pour autant rencontrer ce phénomène dans la réalité mais tout en étant exposé à ses conséquences.

 

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