Effets externes et biens publics

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1) Externalités et intervention de l’Etat

L’analyse des externalités a été notamment menée par Arthur Cécil Pigou dès 1932. Une externalité (ou effet externe) est une répercussion de l’activité d’un agent économique sur d’autres agents et qui ne donne pas lieu à une compensation monétaire. Certaines externalités sont positives (service gratuit de pollinisation que rend l’apiculteur à l’arboriculteur) mais beaucoup d’externalités sont négatives. C’est le cas de la pollution engendrée par la production d’un bien, par exemple, des rejets de produits chimiques dans une rivière. Du point de vue de la firme, les dommages causés à l’environnement du fait de son activité ont un coût qu’elle n’a aucune raison de supporter, puisqu’il n’existe pas de marché où la perte de valeur de l’environnement pourrait se mesurer.

En revanche, du point de vue de la collectivité, la réparation des dommages causés entraîne des coûts qui diminueront le revenu disponible, donc l’utilité des agents concernés.

Ainsi, les coûts privés qui interviennent dans les décisions de la firme sont inférieurs aux coûts publics qui vont être effectivement supportés.

On a ici l’exemple d’un effet externe (ou externalité), c’est-à-dire d’une situation où l’activité d’un agent modifie l’utilité (ou le profit) d’autres agents sans que le marché intervienne. Dans ce cas, l’externalité est négative, mais il existe aussi des externalités positives, comme l’éducation, qui élève la productivité du travail sans que les firmes aient contribué à son financement.

Pour revenir à notre exemple de pollution, que peut-on faire pour diminuer la pollution, donc les dommages qu’elle implique ? Dans une économie uniquement composée d’individus agissant au mieux de leurs intérêts, personne ne peut imposer aux firmes polluantes de modifier leur comportement. Il est donc nécessaire d’introduire une autorité extérieure aux agents, l’État, qui va intervenir pour pallier les insuffisances du marché.

Dans la logique marchande, le seul signal que les agents considèrent est le prix, c’est donc sur lui que l’État doit intervenir pour infléchir les décisions privées.

La figure suivante va nous permettre d’expliciter le raisonnement.

On y a représenté la demande D pour le bien produit et l’offre O de ce bien. Jusqu’alors, les firmes décidaient de leur niveau de production en égalant le prix de vente de leur produit avec leur coût marginal (privé), soit un équilibre de marché pour un prix p et une production Y, correspondant au point E sur la figure. Supposons que l’Etat impose aux entreprises une taxe t sur la production pour qu’elles intègrent le coût social de leur activité et pour que le prix qui parvienne aux consommateurs soit révélateur du coût pour la collectivité de l’utilisation de ce bien. Cette taxe augmente les coûts des entreprises, ce qui a pour effet de diminuer l’offre, qui est maintenant représentée par O’, et déplace l’équilibre en E’, où le prix est p’ et la production Y’.

En fait, pour que les firmes décident du niveau de production Y’ sur la seule base de leurs coûts privés, il eût fallu que le prix de marché soit égal à p’’, correspondant au coût marginal de production de Y’. Comme la quantité Y’ est produite et vendue au prix p’, la différence

p’ -p’’ correspond à l’écart entre les coûts privés et les coûts sociaux et doit être égale à la taxe t, imposant ainsi aux firmes de prendre en compte les coûts sociaux. On dit que l’effet externe a été internalisé.

En conséquence, la production a diminué, donc la pollution, qui lui est plus ou moins proportionnelle, et la demande s’est réduite suite à l’augmentation du prix. Les consommateurs paient maintenant p’ au lieu de p précédemment, soit une augmentation de p’ – p, le reste de la taxe p – p’’ (puisque (p’-p)+(p-p’’)=t) étant supporté par les firmes.

Une telle mesure est-elle profitable à la collectivité ? Pour le savoir, la microéconomie suggère de mesurer les variations de surplus des agents qui sont touchés par la mesure en question. Si le surplus total a augmenté, c’est que la mesure est bénéfique.

Ici, les producteurs supportent une augmentation de coût égale à p -p’’, mais produisent moins ; il en résulte une perte de surplus égale à l’aire pEFp’’. Quant aux consommateurs, payant plus cher un produit en moins grande quantité, ils ont aussi une perte de surplus égale à l’aire pEE’p’. Mais il y a d’autres effets à prendre en compte. D’une part, l’État, qui prélève la taxe t qui s’applique à une production Y’, perçoit une augmentation de recettes tY’, correspondant à l’aire p’’FE’p’. D’autre part, la collectivité bénéficie des économies dues à la diminution de la pollution. Les coûts de la pollution sont mesurés par l’écart entre O et O’. En effet, quand la firme produit Y, cela représente un coût réel de YF’, alors que la firme n’en comptabilise que YE. EF’ est donc le coût pour la collectivité d’une production égale à Y. Quand la production diminue de Y à Y’, la baisse de la pollution a donc « économisé » un montant égal à l’aire FEF’E’.

Faisant la somme des gains et des pertes, on voit qu’il en résulte un gain global égal à l’aire EE’F’, ce qui montre que la taxation a eu un effet positif. Cette méthode d’évaluation de la variation des surplus impliquée par une mesure économique est à la base du calcul économique public et constitue une des principales applications de l’analyse microéconomique.

L’Etat doit aussi internaliser les effets externes positifs. Prenons l’exemple d’un parc d’attractions qui attire des touristes dont profitent les commerçants d’une commune. Sans intervention des pouvoirs publics, le parc d’attraction ne tient compte que de son coût marginal privé. En réalité, son activité crée un avantage social qu’il faudrait prendre en compte. Ici, le coût social est plus faible que le coût privé.

Donc, sans intervention des pouvoirs publics, la production est trop faible par rapport à l’optimum. Cette fois-ci, la force publique doit subventionner l’entreprise de façon à augmenter ses recettes pour égaliser la recette marginale privée et l’avantage marginal social.

Les effets externes négatifs conduisent donc à une production trop forte par rapport à l’optimum, et les effets externes positifs, à une production trop faible. Pour se rapprocher d’une situation optimale, l’Etat doit donc internaliser les effets externes. Pour cela, il peut utiliser les taxes et subventions pigouviennes, mais il a aussi à sa disposition d’autres outils.

2. Les différentes solutions aux externalités

Les pouvoirs publics peuvent intervenir de deux façons différentes. Pour bien le comprendre, nous allons prendre l’exemple d’une usine qui génère des nuisances de bruit importantes ; ces nuisances gênent le voisinage.

  • La méthode autoritaire L’Etat peut décider de décréter un seuil maximum de bruit à ne pas dépasser. Ainsi, le problème de ces externalités est réglé. En revanche, un tel règlement peut poser des problèmes rédhibitoires à des entreprises qui, de par leur activité, sont obligées de dépasser le niveau sonore et risque donc d’entraîner l’abandon de ces activités. Par ailleurs, les réglementations ne résolvent pas le problème posé par les externalités positives. La solution autoritaire ne permet donc pas de se rapprocher de l’optimum et encore moins de l’atteindre.
  • Les taxes et subventions pigouviennes Plutôt que d’exiger ou d’interdire, l’État peut intervenir de façon que le calcul rationnel des agents économiques intègre les externalités. Il faut pour cela faire en sorte que le coût privé qui entre dans le calcul des agents soit le même que le vrai coût de l’activité (coût social) grâce à la mise en œuvre de taxes dans le cas des externalités négatives et de subventions dans le cas des externalités positives. Ainsi, l’usine qui génère des nuisances de bruit importantes se verra dans l’obligation de payer un impôt qu’elle intégrera dans son calcul de coût. Le coût marginal augmentant du fait de ces taxes, l’entreprise réduira sa production (et par conséquent ses nuisances).

Les solutions publiques ne sont pas les seules. Certains économistes libéraux pensent que l’intervention des pouvoirs publics n’est pas nécessairement légitimée par la présence d’externalités. Ainsi, Ronald Coase explique, dans « Le Problème du coût social » (1960), que l’Etat ne doit pas intervenir économiquement en taxant ou en subventionnant, et ainsi en modifiant la répartition des revenus. Coase considère qu’il suffit de définir les droits de propriété qui peuvent être échangés.

Supposons deux entreprises fabriquant au fil de l’eau (exemple tiré de l’ouvrage de F. Lévêque) : l’une, A, fabrique du cuir pour un producteur de chaussures et pollue la rivière ; l’autre, B, fabrique de la bière en aval de A et a besoin d’eau pure pour nettoyer ses cuves de fermentation ; la quantité de pollution varie proportionnellement à la quantité de cuir produite ; B traite l’eau qu’elle consomme en fonction de la quantité de tanins déversés par A dans la rivière .

Ce  : coût marginal de purification, c’est le préjudice que subit l’entreprise de bière B

Cette figure montre comment la présence d’une externalité met en échec la main invisible. Cherchant à maximiser son profit, la tannerie produit jusqu’au point où son bénéfice marginal devient nul. Du point de vue de l’intérêt général, qui se réduit ici au bien-être des deux agents, cette situation n’est pas optimale car la richesse totale est maximisée pour q=q* et non q0.

La solution canonique du problème de l’externalité est de réglementer. Le réglementeur doit calculer le « niveau optimal de production d’externalités » et mettre en place un mécanisme qui va contraindre (ou inciter) les agents économiques à l’atteindre (imposer au pollueur une norme, qui limite ses émissions à q*, ou taxer le pollueur)

Coase estime qu’il n’est pas nécessaire de recourir à l’Etat réglementeur pour régler ce problème d’externalité négative. Il suffit d’introduire dans notre exemple un droit de propriété sur la rivière. Supposons qu’elle appartienne à la fabrique de cuir. Admettons que les entreprises se connaissent et peuvent signer des accords entre elles. Négligeons enfin le coût des accords en considérant que la négociation, la mise en œuvre et la surveillance d’un contrat n’entraînent pas de dépenses (coûts de transaction négligeables). Une diminution des rejets de ?q = (q0-q) apporte au pollué B un gain (qXRq0) qui est supérieur à la perte subie par A (qYq0). Le fabriquant de bière a donc intérêt à entrer en négociation avec la tannerie pour lui proposer de limiter ses émissions en échange d’une contrepartie monétaire.

La négociation directe entre pollueur et pollué aboutit ainsi spontanément à une production optimale d’externalité. La présence d’une autorité publique n’est pas ici nécessaire pour régler le niveau de pollution. Le résultat serait le même si le pollué était propriétaire de la rivière (cf. « Economie de la réglementation »  : F. Lévêque)

Ce « théorème de Coase » a été énoncé pour la première fois par Stigler (1966), il dérive de l’article de Coase précédemment cité. Il stipule que si les droits de propriété sont définis et si les coûts de transaction sont nuls, les agents corrigent d’eux mêmes les externalités.

Autres solutions privées

La négociation entre pollueur et pollué est une solution qui ne réclame pas l’intervention d’un réglementeur, mais sa mise en œuvre présuppose toutefois une action publique initiale, à savoir la dévolution des droits de propriété sur l’environnement. Elle n’écarte donc pas toute forme d’intervention des pouvoirs publics. La négociation est cependant une solution privée dans la mesure où elle repose sur les décisions volontaires des agents et non sur les ordres d’une autorité publique.

D’autres solutions de ce type sont envisageables. Tout d’abord, les deux entreprises au fil de l’eau A et B peuvent fusionner. Dans ses choix techniques de production, la nouvelle entreprise ainsi constituée va chercher à maximiser le profit joint de ses deux unités. Elle va être naturellement amenée à prendre en considération les pertes subies par l’usine de bière liées au comportement de sa filiale spécialisée dans la production de cuir. Le bénéfice

et le coût de réduction des rejets vont être comparés, ce qui va conduire l’entreprise consolidée à opter pour un niveau de rejets égal à q*. Comme la négociation, la fusion conduit à l’optimum de pollution.

On peut aussi imaginer un marché de transaction de titres de propriété sur les ressources de l’environnement qui serait organisé selon le modèle boursier. Cette solution du marché de droits à polluer a été élaborée par Dales [1968].

Sur un plan théorique, l’internalisation des externalités peut donc emprunter divers chemins autres que l’intervention publique par les quantités (en imposant une norme d’émission) ou par les prix (en imposant une taxe).

« L’impasse des coûts de transaction nuls :

Les modalités de correction des externalités qui viennent d’être décrites conduisent toutes à un optimum de Pareto. Ce résultat repose sur l’hypothèse que la dévolution des droits de propriété et le fonctionnement des mécanismes de coordination entre les agents (la négociation dans le cas du marchandage entre le pollueur et le pollué, l’entreprise dans le cas de la fusion, le marché dans le cas des droits à polluer) s’exercent sans dépense.

Cette hypothèse générale d’absence de coûts de fonctionnement du système économique se résume en disant que les coûts de transaction sont nuls. L’identification des partenaires de l’accord, la rédaction du contrat, le suivi de sa bonne exécution et la mise en place d’un système de sanction en cas de défection ne doivent rien coûter. Sur le plan méthodologique, cela conduit à une impasse.

Prendre pour référence théorique un monde de coûts de transaction nuls ne permet pas de comprendre le monde réel […]

L’intérêt de Coase pour les institutions le conduit à dénoncer l’hypothèse de coûts de transaction nuls et à rejeter le théorème auquel son nom a été accolé. Près de trente ans après la publication de son article, il déclare  : « J’ai montré dans « La Nature de la firme » qu’en l’absence de coûts de transaction il n’y a pas de fondement économique qui justifie l’existence de l’entreprise. Ce que j’ai montré dans «  Le problème du coût social », c’est qu’en l’absence de coûts de transaction […] les institutions qui façonnent le système économique n’ont ni substance, ni objet. […] Mon argument suggère qu’il est nécessaire d’introduire explicitement des coûts de transaction positifs dans l’analyse économique pour étudier le monde tel qu’il existe » [Coase, 1988, p. 14]. » (F. Lévêque)

II) Les biens publics ou collectifs et l’inefficacité du marché

Un bien public ou collectif selon Samuelson (1954) est un bien dont la consommation est collective : il est accessible à tous et sa consommation par un individu n’entraîne pas une moindre disponibilité pour les autres. Un bien collectif s’oppose au bien privé, pour lequel, au contraire, la consommation totale se divise entre les différents usagers et la consommation d’un individu prive un autre individu de l’utilisation du même bien.

La notion de bien collectif associe deux propriétés : la non-excludabilité (ou non exclusion) et la non-rivalité de l’usage. Nous allons voir que chacune renvoie à une source d’inefficacité du marché spécifique  : l’absence d’incitation à produire liée au comportement de passager clandestin et le rationnement sous-optimal des consommateurs en présence de coût d’encombrement nul.

1) La main invisible tenue en échec par les biens non-excludables

La non-excludabilité désigne l’impossibilité d’exclure de l’usage un utilisateur, même s’il ne contribue pas au financement du bien. A l’exemple de la dissuasion nucléaire ou du phare, une fois les investissements réalisés, chacun peut en profiter. Bien sûr, on peut imaginer un dispositif technique qui rende inobservable les signaux des balises aux marins non équipés ; le bien collectif devient alors excludable. C’est le cas de figure rencontré dans la télévision depuis l’invention des décodeurs. Ils permettent d’empêcher les non-abonnés des chaînes cryptées d’avoir accès gratuitement aux programmes. Dans le cas de la dissuasion nucléaire, non seulement personne ne peut être exclu de son usage, mais sa consommation s’impose à tous, même à ceux qui dénoncent une telle orientation stratégique. Pour y échapper, les pacifistes n’ont que la possibilité d’émigrer [Cornes et Sandier, 1986].

« A ce propos, remarquons que la notion d’excludabilité se rapporte toujours à un territoire ou à une communauté d’une juridiction donnée. Ainsi, la défense nationale de la France est un bien considéré comme non excludable même si elle ne profite pas à l’ensembledes habitants de la planète. »

Un problème d’incitation à produire

Le problème pratique que posent de tels biens est celui du manque d’incitation des entrepreneurs à les produire. Ils savent à l’avance qu’ils auront du mal à se faire payer. En effet, ils n’ont aucun moyen de priver d’utilisation les agents qui ne rémunèrent pas leurs services. Les consommateurs sont peu enclinsàpayerpuisquerienne les y oblige. La conséquence est que le marché ne produira pas les biens non excudables en quantité suffisante.

La cause de cette défaillance du marché réside dans ce qu’il est convenu d’appeler le comportement de passager clandestin.

Il s’agit d’un individu qui déclare ne pas souhaiter tel ou tel bien public, afin d’éviter de participer à son financement. Tout en sachant que dès l’instant où existe ce bien public, il pourra en bénéficier, au même titre que ceux qui ont manifesté le souhait. Généraliser ce raisonnement à N individus conduit finalement au refus de produire le dit bien public.

Nous sommes dans une situation qui met en échec la main invisible puisque le comportement rationnel d’agents uniquement préoccupés de leurs intérêts ne parvient pas à un équilibre qui maximise le bien être collectif.

L’intervention du réglementeur

En cas de bien non excudable, une autorité publique doit se substituer au marché pour réaliser l’allocation efficace des ressources. Le moyen pratique recommandé pour y parvenir consiste à financer la production des biens à partir de fonds publics, mais rien n’empêche ce dernier de déléguer la production proprement dite à une entreprise privée (La décision de faire ou de faire faire, n’est pas liée au caractère non excludable du bien. Le choix entre un service ministériel, un établissement public à caractère administratif ou industriel et une concession de service public déléguée à une entreprise privée relève de considérations organisationnelles et politiques).

2) L’inefficacité du marché en présence de biens non rivaux

La non-rivalité est la propriété qu’un bien puisse être consommé simultanément par plusieurs personnes sans que la quantité consommée par l’une diminue les quantités disponibles pour les autres. Les biens déjà cités (phare, défense nationale ou programme de télévision) remplissent cette propriété. En regardant une émission sur tel canal, je ne prive pas un autre téléspectateur de la consommation du même programme. La non-rivalité peut se décliner de deux autres manières en disant que chaque utilisateur consomme la même unité de bien, ou bien en disant qu’un consommateur additionnel du bien n’entraîne pas de nuisances d’encombrement. Quelle que soit la formulation retenue, la conséquence de la non-rivalité en termes économiques est la même : le coût marginal pour servir un utilisateur supplémentaire est nul. C’est cette propriété économique qui est à l’origine d’une autre défaillance du marché en présence d’un bien collectif : le rationnement sous-optimal. Elle est illustrée par la figure suivante dans le cas du péage d’un pont (exemple tiré de « Economie de la réglementation  » de F. Lévêque)

La courbe RM est la fonction de demande pour la traversée du pont au-dessus de la rivière qui permet par exemple d’éviter un long détour. Elle indique l’utilité de ce bien pour ses utilisateurs potentiels et les sommes qu’ils sont disposés à payer en conséquence. RM est égale à la recette moyenne du producteur. On suppose que le coût marginal pour servir un passager supplémentaire est nul  : les travaux d’entretien ne varient pas avec le nombre d’utilisateurs et la capacité de l’ouvrage d’art est supérieure au nombre de clients potentiels

(T > q*). Supposons que le péage minimal que doit fixer un entrepreneur pour couvrir ses coûts d’investissements et de maintenance soit égal au montant p pour un nombre de traversées de q° ; les recettes du producteur s’élèvent à l’aire Oq°Ap ; puisque son surplus est nul (recettes = dépenses), le surplus social se réduit au surplus du consommateur, soit l’aire pAB. Du point de vue de l’intérêt général, cette situation est sous-optimale car le surplus est inférieur au surplus dégagé en l’absence de péage. En effet, en l’absence de péage, le surplus est plus grand de la valeur de l’aire du triangle q°q*A. Décomposons-le pour le vérifier. Le surplus producteur est négatif (moins l’aire Oq°Ap) puisque aucune recette de péage n’est perçue. Le surplus consommateur est, quant à lui, égal à la totalité de la surface du triangle Oq*B. Le surplus total vaut donc (Oq*B – Oq°Ap). Ainsi, si le déficit de l’entrepreneur n’est pas financé par des ressources publiques, le pont sera sous-utilisé et entraînera une réduction de bien-être égale à q°q*A.

La propriété de non-rivalité conduit ainsi à une tarification de la fourniture privée de biens qui entraîne un rationnement sous-optimal des consommateurs. La recommandation normative est qu’il revient à la puissance publique de financer les biens non rivaux à partir de l’impôt. Cette recette sera affectée à l’administration qui produira le service, ou à une entreprise privée à qui seront confiées la production et la gestion du bien.

3) Les différents types de biens

Les propriétés de non-excludabilité et de non-rivalité sont indépendantes. Il existe en effet des biens non-excludables mais rivaux et des biens excludables mais non rivaux. C’est ainsi qu’un banc de poissons est une ressource qui ne profite qu’à celui qui la capture, mais avant sa capture aucun chalutier qui navigue dans les parages ne peut être exclu de tenter sa chance. A l’inverse, un programme crypté de télévision ne peut être regardé que par les ménages qui disposent d’un décodeur mais la consomation individuelle d’un abonné n’empêche pas celle d’un autre abonné.

Les quatre types de biens

 
Non excludable
Excludable
Non rival Biens collectifs purs(phare, défense nationale… Biens de club(programme TV crypté..)
Rival Biens en commun(banc de poisson…) Biens privés.(pomme…)

Les biens collectifs purs : L’économie publique recommande de financer la production de ces biens à partir de fonds publics.

Les biens de club : Samuelson recommande que les biens non rivaux (club de tennis, réseau de communication…) soient gratuitement mis à disposition de tous les utilisateurs potentiels. S’il existe un dispositif permettant d’assurer l’excludabilité du bien (péage…), il ne doit pas être utilisé.

En fait, le problème soulevé par le bien de club est celui de la taille optimale de l’association. Il s’agit de déterminer à la fois le nombre d’adhérents et la taille des équipements qu’ils veulent utiliser. D’un côté, il est souhaitable que l’effectif du club soit le plus élevé possible. Le coût individuel de production et d’entretien du bien diminue en fontion de la taille inverse du club. Mais d’un autre côté, le phénomène d’encombrement qui s’amplifie avec la taille contrarie le bénéfice que chacun retire de l’utilisation de ce bien.

Les biens en commun (ex : ressources naturelles) : ici les biens sont déjà produits et le comportement de passager clandestin entraîne leur consommation. En l’absence d’une privatisation aboutissant à la propriété individuelle, ou d’une intervention publique contraignant les conditions d’usage collectif de la ressource, le bien en commun est nécessairement amené à être surexploité.

4) L’offre privée de biens collectifs

En 1974 Coase mène une étude économique empirique sur l’évolution du système britannique des phares et balises, qui montre que, contrairement à la croyance de nombreux économistes, « les phares ont été construits, gérés, financés, possédés par des personnes privées. » Comment prétendre dès lors que le phare est le type même de bien qui ne peut être fourni qu’à l’initiative de l’action publique ? Où est l’erreur du raisonnement théorique exposé précédemment sur les défauts du marché en présence de biens collectifs  ?

L’offre privée optimale de biens non rivaux

Ne peut-on pas envisager d’autres solutions capables de parvenir à un équilibre de Pareto que le financement public ? Tout d’abord l’argument théorique de l’inefficacité du marché en présence de biens non rivaux n’est pas fondé dans un monde de coûts de transaction nuls. On peut en effet appliquer le théorème de Coase et concevoir qu’une négociation entre les parties intéressées conduise à maximiser le bien-être collectif. Cette solution, appliquée au cas du pont vu précédemment, amène les consommateurs «  réunis en association » à dédommager eux même le constructeur de son manque à gagner pour profiter d’une baisse des prix du péage.

Une autre solution d’offre privée efficace est proposée par Demsetz (1970). Elle consiste à discriminer les tarifs selon les consentements à payer des utilisateurs. Les coûts d’élaboration et de mise en œuvre de la discrimination sont supposés nuls. Un fournisseur de bien non rival est donc capable sans que cela occasionne de dépenses  : 1) de proposer à chaque utilisateur un contrat individuel qui l’engage à souscrire une redevance égale à son consentement à payer ; 2) de faire respecter les contrats. Rappelons qu’une telle discrimination est efficace en reprenant l’exemple du pont. Si l’entreprise de travaux publics est en mesure de fixer pour chaque passager un péage égal à sa disposition à payer, le passager marginal (c’est-à-dire celui qui a le plus faible consentement à payer) est servi, sans que cela ne détériore la situation des autres passagers. On aboutit bien à un optimum de Pareto. En maximisant son profit, l’entreprise maximise aussi le surplus collectif puisque la discrimination lui permet de s’en approprier la totalité.

Si l’on se place maintenant dans l’hypothèse de coûts de transaction positifs, les différentes solutions que sont l’offre publique sans péage, la négociation et la discrimination ont des coûts d’élaboration et de mise en place qui leur sont propres.

Ainsi, il n’y a pas de solution qui soit systématiquement meilleure (c’est-à-dire moins coûteuse) qu’une autre et que seule l’étude au cas par cas permet de trancher.

L’offre privée de biens non excludables

Le comportement de passager clandestin et sa traduction en dilemme du prisonnier sont avancés par l’économie publique pour expliquer que la fourniture privée d’un bien non excludable est impossible. Mais, comme son nom le suggère, le dilemme du prisonnier met en scène des joueurs qui sont dans l’impossibilité de communiquer. En conséquence, ils ne peuvent pas mettre au point un accord sur le coup qu’ils vont jouer, ni un système de rétorsion si l’accord n’est pas respecté. Pour un bien non excludable comme le phare maritime, tel n’est pas le cas. Rien n’empêche un entrepreneur de travaux publics de passer un contrat avec les armateurs souhaitant la construction d’un phare qui assurerait une meilleure sécurité à leurs navires. Le contrat peut s’accompagner d’un pré-paiement calculé de telle sorte qu’il diminue l’intérêt de la défection quand l’investissement est réalisé ; le risque de passager clandestin est réduit et l’offreur peut alors trouver son compte à l’opération. En d’autres termes, un entrepreneur privé peut négocier la production du bien non excludable avec ses utilisateurs potentiels.

Dans quelles circonstances cette négociation peut-elle aboutir à la fourniture du bien ? Un élément de réponse évident est que les bénéfices attendus par les utilisateurs soient supérieurs aux coûts des fournisseurs. Un deuxième élément est que le respect du contrat soit assuré. Celui qui ne paie pas la contribution prévue au contrat qu’il a signé alors qu’il profite du bien doit encourir un risque de sanction qui le dissuade d’agir de la sorte. Il faut donc prévoir que le coût du contrat (de son élaboration, mais aussi du système de surveillance et d’amende qui lui est attaché) soit inférieur aux bénéfices liés à l’utilisation du bien. Troisième élément, il est bien entendu nécessaire que les droits de propriété soient garantis par la puissance publique. Il faut que ceux qui n’ont pas signé le contrat en espérant ultérieurement disposer gratuitement du bien puissent être condamnés pour cet abus, ce qui signifie pour l’entrepreneur privé des coûts supplémentaires, en actions de surveillance et de recours en justice.

Mais cette offre privée peut-elle aboutir à un équilibre de Pareto ? La réponse est positive si les coûts de transaction sont nuls. Dans un monde sans coûts de transaction, le coût du marchandage est nul ; il en est de même pour le coût de la rédaction et du respect des contrats. Il en découle que les fournisseurs privés peuvent toujours assurer l’exclusion de leurs services par un contrat auprès des utilisateurs potentiels. Dans un monde sans coûts de transaction, tous les biens sont excludables : la propriété de non-excludabilité des biens ne peut ni apparaître ni persister.

Toutefois, pour départager la fourniture publique et privée de biens non excludables, il est crucial de prendre pour référence un monde de coûts de transaction positifs. Les coûts de transaction sont-ils en défaveur de la fourniture privée, et, a contrario, en faveur de la fourniture publique ? Encore une fois, il n’y a pas de réponse universelle à cette question.

Ce n’est qu’en examinant l’ensemble des coûts (en particulier ceux supportés par les entrepreneurs pour décourager le comportement de passager clandestin, et pour négocier et passer un contrat avec les utilisateurs) et l’ensemble des variables liées au contexte (tels le nombre de parties concernées ou le pouvoir de coercition de l’autorité publique par rapport à l’organisation privée) que la supériorité d’un mode sur l’autre peut être avancée.

 

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