De Gaulle, 1963: “le peuple est patriote, les bourgeois ne le sont plus”

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Un petit extrait de C’était de Gaulle, l’excellent livre d’Alain Peyrefitte qui nous fait revivre en direct la pensée du Général de Gaulle. Suite au refus de l’entrée du Royaume-Uni dans l’Europe en 1963, celui-ci se livre devant son ministre à une attaque contre l’esprit d’abandon des élites françaises, mal qui menace cycliquement de détruire la France. Les coupables sont désignés sans ambages: les journalistes et la bourgeoisie, face auxquels le peuple demeure le seul garant du patriotisme. Leçons à méditer aujourd’hui.

De Gaulle: “l’attitude de la presse française dans toute cette affaire anglaise est un véritable scandale.

Que Massip dans le Figaro ou Lazurick dans l’Aurore crachent sur moi et chantent la gloire des Américains, cela n’a aucune importance ; c’est dans leur rôle. Il faut bien que leurs lecteurs trouvent leur satisfaction en les lisant. Mais ça va beaucoup plus loin.

“Oh je ne dis pas que la presse soi-disant française reçoive aujourd’hui des enveloppes des ambassades étrangères, comme c’était régulièrement le cas avant la guerre. Ca ne date pas d’hier. Quand Paul Cambon était ambassadeur auprès de la Sublime Porte, le Sultan lui avait demandé: “pourquoi la presse française me coûte-t-elle plus cher que les autres?” Vous savez que le Professeur Baumont procède à la publication des archives de la Wilhelmstrasse ; d’où il ressort que les principaux journaux parisiens étaient abondamment payés par l’ambassade d’Allemagne avant la guerre. La publication de ces documents devrait faire quelques bruits, mais elle n’en fera pas ; les journalistes, d’instinct, se solidarisent avec la presse d’avant guerre, bien qu’elle ait cédé la place à celle de la Résistance en 44. Ils préfèrent passer sous silence les turpitudes du passé.

Je crois surtout que les Anglais et les Américains paient indirectement. Et je t’invite à dîner! Et je t’invite à venir faire un semestre dans une Université! Et je t’invite à un voyage de propagande! Et je t’envoie une caisse de whisky! Et il n’y a pas tellement besoin de faire d’efforts, car le snobisme anglo-saxon de la bourgeoisie française est quelque chose de terrifiant.

Mais il y a plus grave, c’est l’esprit d’abandon. Cette espèce de trahison de l’esprit, dont on ne se rend même pas compte. L’esprit de Locarno, l’esprit qui nous a amené à tout lâcher sans aucune garantie, l’esprit qui nous amenés à laisser réoccuper la Rhénanie, l’esprit qui nous a conduits à rendre sans contrepartie leur charbon et leur acier aux Allemands, pour construire la CECA dans les conditions où on l’a construite. Comme si le but d’une politique française était de faire plaisir aux autres pays et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de France! Surtout ne pas faire de peine aux étrangers! Il y a chez nous toute une bande de lascars qui ont la vocation de la servilité. Ils sont faits pour faire des courbettes aux autres. Et ils se croient capables, de ce seul fait, de diriger le pays.

Inutile de dire que tous ces individus ne peuvent plus cacher leur dépit. Tous ces Jean Monnet, tous ces Guy Mollet, tous ces Paul Reynaud, tous ces Pleven, tous ces Spaak, tous ces Luns, tous ces Schroeder, tous ces Cattani, forment une confrérie européenne. Ils pensaient pouvoir se répartir les places et les fromages. Ils sont tout surpris de voir que ça ne marche pas tout seul. Alors comment vous étonner qu’ils ne soient pas contents? Ils sont malades d’être tenus à l’écart! Ils peuvent compter sur moi pour les tenir à l’écart tant que je pourrai le faire.

                Heureusement, le peuple a la tripe nationale. Le peuple est patriote. Les bourgeois ne le sont plus ; c’est une classe abâtardie. Ils ont poussé à la collaboration il y a vingt ans, à la CED il y a dix ans. Nous avons failli disparaître en tant que pays. Il n’y aurait plus de France à l’heure actuelle.

                “Le comportement de notre presse est scandaleux. Ca fait d’ailleurs vingt-trois ans que je le constate. (il compte à partir du  18 Juin, comme pour sa propre légitimité.) La presse française déteste la France. Alors ça fait vingt-trois ans que j’essaye de doubler la presse, qui m’est résolument hostile, par la radio, et maintenant la télévision, pour atteindre les Français. Mes efforts n’arrivent pas à changer les choses, malgré quelques modestes résultats.

                Les Américains ont trop intérêt à maintenir les pays d’Europe occidentale à l’état de protectorat, et les Anglais ont trop intérêt à ce que ça ne se sache pas. Les Américains ont payé leur tribut sur les plages de Normandie. Ils n’ont plus envie d’essuyer la mitraille. On peut les comprendre. Ils préfèrent les bombardiers, les missiles, les postes de commandement. Et ceux qui acceptent de devenir piétaille détestent qu’on dise qu’ils sont piétaille. Vous n’y pouvez rien.

                D’ailleurs croyez-vous que cet acharnement de la presse me porte préjudice? Je me demande quelquefois s’il ne me fait pas du bien. Le peuple sent les choses. Il sait instinctivement de quel côté est le patriotisme, de quel côté la bassesse. Plus les journalistes m’attaquent, plus ils font la propagande de mes idées.

                Soyez serein Peyrefitte.”

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