La technologie, entre pilote et naufrageur des administrations publiques ?

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Paru dans  “Changements prévus, changements subis“, sous la direction d’Adrien Peneranda (2018)

Aux élections municipales de 2001, les deux maires de villes considérées comme ayant fait de l’Internet le levier de la modernisation de la vie communale, citées en exemple par tous les zélateurs de la transition numérique, Parthenay et Agde, sont éliminés au premier tour par leurs administrés. Un reproche commun : un trop grand goût pour la sophistication technologique aux dépens de la vie réelle. Plus profondément, c’est une incompréhension de ce que sont les technologies de l’information et de ce qu’est la technologie en général. Ces maires n’avaient tout simplement pas vu que dès lors qu’il suffit d’une seconde pour envoyer un courriel signalant la panne d’un éclairage public, il faille toujours trois semaines pour le réparer. Une technologie n’est pas un supplément que l’on rajoute à la surface de quelque chose qui va s’en trouver transformé comme par magie. Une technologie fait partie d’un système technique d’ensemble dès lors qu’il s’agit plus que d’une technique isolée destinée à réaliser des automatismes. Quand le premier âge de l’informatique a automatisé la fabrication des bulletins de paye, il ne s’est agi que de faire plus vite et plus efficacement des tâches jusqu’alors manuelles, sans que cela change en quoi que ce soit le processus de fabrication de la paye.

Gilbert Simondon, qui fut le premier grand philosophe de la technique à l’ère de l’information, a introduit la notion de « couplage » pour comprendre l’objet technique. Soit un objet technique n’est qu’un élément autonome qui n’est pas couplé avec un autre élément, soit il est couplé avec un autre élément ou avec un acteur humain. Cet objet technique ne peut se comprendre alors sans l’appréhension globale de la relation qu’il entretien avec l’humain. Il faut comprendre comment fonctionne chaque élément du couple et comment ils interagissent à travers le couplage. L’élément seul ne peut mener à la compréhension de l’ensemble.

Eclairons ce problème par une autre histoire : à la même époque, en 2001, je prenais mes fonctions de conseiller dans les services de la Réforme de l’Etat auprès du Premier ministre. Les cadres avaient un plein accès à Internet tandis que les secrétaires n’avaient accès qu’à la messagerie électronique. La conséquence, entre autres, était que l’on ne pouvait commander un billet de train à sa secrétaire et qu’il fallait le faire soi-même. Je découvrais ensuite que les cartes son étaient retirées des postes de travail dès leur livraison. Le motif en était que le son était associé au jeu et au plaisir. J’en évaluais le coût avec un ami contrôleur d‘Etat : 25 000 FF par poste (3900e) en incluant le cout la perte de garantie liée à cette intervention. Au niveau élémentaire, nous avons là l’expression de la résistance des organisations avec des petits chefs qui ont senti les changements induits par une innovation et qui se précipitent pour verrouiller la reproduction de l’ordre social existant.

Révolution ou adaptation technologique ?

Mais plus profondément, il y a là une incompréhension du phénomène de « révolution technologique ». L’emploi du terme de « révolution » technologique peut porter certains à penser et affirmer que nous vivons une rupture radicale, que plus rien ne sera comme avant, que ce qui arrive est unique dans l’histoire… et à se lancer dans la futurologie d’un monde merveilleux.

Walter Inge, doyen de la cathédrale Saint-Paul de Londres, écrivit en 1229 un récit de la création où il fait dire à Adam s’adressant à Ève, alors qu’ils sont chassés du paradis terrestre : « Je crois, ma chère, que nous vivons une époque de transition. » Il ne pouvait mieux dire : nous avons là une constante de l’histoire humaine depuis la Création.  Il ne faut donc pas parler de révolution technologique à tout bout de champ ni sous-estimer le pouvoir de transformation de la technologie. La question est de savoir différencier une simple amélioration technologique d’une rupture, et plus encore, comme l’a parfaitement analysé Carlota Perez dans ses analyses des cycles technologiques, s’il s’agit d’une technologie générique qui va se propager à l’ensemble du système socio-économique en en bouleversant l’organisation, ou rester un phénomène isolé. L’énergie nucléaire, pour innovante qu’elle soit, n’est pas une technologie générique qui va se déployer en grappes dans de multiples usages.

Cela n’est pas facile à identifier car une révolution technologique « n’éclate pas » comme une prise de la Bastille : c’est une évolution qui se fait d’abord de manière incrémentale et qui, une fois une masse critique atteinte, se déploie en grappes sur l’ensemble des activité économiques et sociales.

Une évolution de ruptures en continuités

La théorie évolutionniste s’est construite par analogie avec la théorie darwinienne de l’évolution, qui distingue les adaptations, qui sont de l’ordre du somatique, des mutations, qui sont de l’ordre du génétique. Le premier âge de l’informatique centralisée se calquait sur le modèle de l’entreprise hiérarchique. L’outil s’adaptait à ces organisations. Le deuxième âge de l’informatique, celui des réseaux remettait en cause ce modèle. Il y eut progressivement mutation des modèles d’affaires. Le nouveau ne sort pas de l’ancien, mais sa genèse s’inscrit dans une continuité historique avec l’ancien qui est celle des schémas d’apprentissage, le sentier technologique.

L’économie n’est pas un processus déterministe, dont l’issue est fixée à l’avance, mais évolue en interaction avec son environnement. Elle le façonne autant qu’elle est façonnée par lui. Ce processus est stochastique[1] : il est guidé par le hasard et il se stabilise quand il a trouvé un équilibre satisfaisant. Dans la propagation de l’innovation, un intrant (la nouvelle technologie) vient bouleverser l’équilibre du système, qui va essayer une multitude de combinaisons de manière aléatoire (et donc accroître son désordre), tout en cherchant et sélectionnant les solutions les plus stables (créer un nouveau principe d’ordre). Ce sont les lois de l’évolution qui sont en œuvre, et les principes de sélection sont ceux qui garantiront au système technique sa stabilité et au système économique sa profitabilité : il s’agit non seulement de principes de robustesse technique, mais aussi de cohérence sociale et politique, car les révolutions technologiques ne transforment pas seulement les processus de production, mais l’ensemble des rapports sociaux.

1.1    TECHNOLOGIE ET POUVOIR

Nous sommes donc face à des dynamiques qui ne se prêtent pas à ces redoutables simplifications tentantes. Il en résulte cette pratique constante à chaque mutation technologique de conférer des vertus thaumaturges à la technologie sur fond de croyance absolue dans les capacités de la raison à comprendre les lois de la nature et à faire de la technique la solution à tous les problèmes. A la naissance de l’ordinateur, un article du Monde « la machine à gouverner »[2] – qui fut élogieusement commenté – par un des pères de l’ordinateur, Norbert Wiener dans Cybernétique et société, déclare  « nous pouvons rêver à un temps où la machine à gouverner viendrait suppléer – pour le bien ou pour le mal, qui sait – l’insuffisance aujourd’hui patente des têtes et des appareils coutumiers de la politique ». Vieux rêve saint-simonien du remplacement de la politique par « la société d’industrie » gérée selon les lois rationnelles de la mécanique.

Cette vision naïve du rôle de la technologie se retrouve dans la vogue actuelle des smart cities qui réduit la politique urbaine à l’accumulation de technologies numériques. Pour l’union européenne, une ville est « smart » dès lors qu’elle accumule des technologies « smart ». L’UE prétend ainsi dénombrer 240 smart cities en Europe. D’une vision naïve de la technologie on est passé à une vision carrément niaise ou l’intelligence de la ville est réduite à la présence de technologies qui confèrent l’intelligence comme les mains des Rois guérissaient des écrouelles.

La politique publique qui tombe dans ce travers commet une double erreur : elle rate l’enjeu d’innovation qu’offre une nouvelle technologie, et donc la possibilité de piloter le développement de son économie. Plus grave, elle se met à la remorque des puissances technologiques dominantes. Dans un pamphlet percutant, Against the Smart City, Adam Greenfield montre comment le mythe de la smart city a été inventé par les grandes firmes de technologies de l’information à la fin des années 1990 quand elles ont vu poindre la saturation du marché des entreprises. L’idéologie de la smart city, qui s’est greffée sur les problèmes réels de la croissance de la population urbaine, de la pollution, de la transition énergétique et des transports, a repris la vision thaumaturge de la technologie sous forme de nouvelles utopies qui ont données naissance à ces villes inhabitables comme Masdar city (Abu Dhabi) ou Plan IT Valley (Portugal). Et surtout, elle perd tout possibilité de garder la main sur l’architecture urbaine. Il a fallu une bonne dizaine d’années – et le processus n’est pas encore achevé – pour que l‘on comprenne qu’un système d’information était avant tout un système, ce qui veut dire un système complexe qui est plus qu’une somme de logiciels et de machines et qui nécessite un travail ce conception et de modélisation important, qui repose sur des règles d’architecture.

Or, pour piloter un système complexe, contrôler son évolution et son fonctionnement, ne pas être dépendant des technologues qui l’ont conçu, il faut maîtriser ces règles d’architecture. Les entreprises et les administrations publiques qui ont externalisé la conception de leur système d’information à des sociétés tierces n’ont pas développé leurs compétences technologiques en architecture système et sont tombées sous la dépendance de leurs fournisseurs. Beaucoup d’Etats s’y sont faits prendre. Paradoxalement les Etats les plus libéraux (Angleterre, Nouvelle Zélande) qui ont appliqué le principe du contracting out, soit l’affermage à des sociétés privées qui, compte tenu de la taille de ces marchés, en ont profité pour constituer des monopoles qui ont conservé le savoir technologique et pris le contrôle réel des services publics affermés.

L’alternative est donc : piloter la technologie ou être piloté par elle. Pour des auteurs pessimistes comme Jacques Ellul, la technologie saura toujours déployer des charmes telles les sirènes de l’Odyssée auxquels ne sauront résister les managers des organisations. Mais nous allons voir ici que si cela peut être le cas de managers incompétents ou tout simplement feignants, un manager qui est clair sur ses objectifs stratégiques et qui a une compréhension de base de la dynamique des systèmes technologique peut échapper à ce piège par une démarche : l’architecture système.

1.2    LA TECHNOLOGIE, UN SYSTÈME DE CONNAISSANCE ÉVOLUTIONNISTE

L’objectif d’une organisation publique est d’être résiliente, soit être capable de résister aux changements brutaux et aux crises. Dans une perspective évolutionniste, elle doit être aussi capable de co-évolution, soit intégrer un élément nouveau de complexité de l’environnement tout en ayant, en retour une action structurante sur cet environnement. Cet environnement est fait de technologies, de contraintes fonctionnelles et organisationnelles, de culture, d’institutions et d’évènements imprévus qu’il va quand même falloir prévoir.

Dans un système évoluant dans un environnement stable, on peut pratiquer l’art de la prévision à partir des enseignements de ce qui s’est déjà passé, généralement en se reposant sur des séries statistiques. C’est ainsi que l’on utilise les arbres des causes pour la gestion des risques.

Par contre, un système évoluant dans un environnement ouvert sera régi par le principe d’incertitude : il est soumis à une multitude d’intrants aléatoires et son comportement tend à devenir stochastique. Pour piloter un système soumis au principe d’incertitude, il faut accéder à la connaissance sous-jacente qui le gouvernent, qui est faite d’hypothèses et de théories admises comme valables.

Dans le premier cas, le système est dit ergodique car on peut faire l’hypothèse de son comportement global et futur à partir de la compréhension du comportement du système à un moment ou dans des situations données. Dans les systèmes ergodiques, les méthodes déterministes (par exemple dans le domaine de la gestion de projet), peuvent fonctionner. Le but final est connu et le pilotage se fait par régulation par des boucles de rétroaction cybernétique simples qui permettent la régulation du système. Les règles de conception et de pilotage d’un système ergodique jouent un rôle de réducteur d’incertitude en exprimant les choix préférables vers lesquels doivent tendre les comportements stochastiques internes du système.

Un système public peut être considéré comme ergodique s’il évolue dans le même paradigme techno-économique dont on peut comprendre les grands principes de fonctionnement.

Mais dès lors qu’il y a changement de paradigme avec l’entrée dans un nouveau cycle technologique – une révolution technologique – les pratiques héritées ne permettent plus de résoudre les problèmes d’un environnement devenu turbulent et incertain. Le comportement du système devient non-ergodique : la compréhension du comportement du système à un moment ou face à un problème donné ne peut plus permettre de prévoir le comportement du système d’ensemble. Il faut donc accéder aux règles sous-jacentes plus profondes que celles codifiées par les règles actuelles. Les règles de fonctionnement, voire les institutions qui permettaient de réduire l’incertitude ne le permettent plus : elles sont à réinventer.

Cette distinction est essentielle pour comprendre le rôle des règles organisationnelles et des institutions :

  •    Si les systèmes socio-économiques n’avaient aucune ergodicité, la compréhension du changement se réduirait à écouter une « histoire pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot… » (Shakespeare, Hamlet) donc à nier tout rôle positif aux institutions. Un pilotage à l’instinct sufirait.
  •    Si, à l’opposé, l’ergodicité était totale, comme dans l’hypothèse positiviste, l’observation permettrait de parvenir à une compréhension scientifique du monde : c’est « l’Etat positif » d’Auguste Comte où «l’observation a dominé l’imagination (…) et elle l’a détrônée ».

Le constat de régularités observables entre institutions et performance dans le temps long nous conduit à admettre, pour reprendre le vocabulaire de Samuelson, des ergodicités partielles et temporaires qui sont séparées par des périodes de crises où nous avons examiné le rôle décisif des ruptures technologiques. Il y a donc succession de périodes régies par les principes déterministes ou probabilistes où l’hypothèse ergodique peut s’appliquer, et de périodes régies par une incertitude régie par d’autres principes où elle ne le peut pas.

Il est dès lors clair que l’application de méthodes propres à un monde ergodique au pilotage dans un monde non-ergodique constitue une source majeure d’échec pour les politiques publiques. C’est l’hypothèse centrale des travaux de Douglass North (2005) : dans un monde non-ergodique la compétence clé devient la capacité d’apprentissage qui permet de réinventer les théories sous-jacentes à la conception des institutions.

La question essentielle est donc celle de la connaissance.

Celle-ci est tributaire de nos représentations, plus précisément de nos systèmes de représentations fondés sur nos capacités de perception, parfaite ou imparfaite.

  • Soit l’on peut parvenir à une connaissance complète et intelligible du réel (monde de la théorie de l’équilibre général du libéralisme et des « lois de l’histoire » du marxisme) et l’on adopte une hypothèse ergodique complète (on peut déduire de l’observation d’un état du système en un lieu et un moment donné son état en tout temps et en tout lieu) et l’on conclut à un déterminisme quasi parfait du monde.
  • Soit la connaissance est imparfaite et l’on peut, en fonction de l’hypothèse ergodique retenue – totale ou partielle et temporaire – parvenir au constat d’un déterminisme au moins partiellement inintelligible, vérifiable uniquement ex-post, résultat non-intentionnel d’actions intentionnelles des individus ou des groupes. Cela peut nous conduire, soit à l’individualisme méthodologique adopté par Hayek qui aboutit à un ordre spontané, ou encore par l’économie des conventions où l’individu est guidé par le sens du bien commun, soit à un rôle des institutions et de l’Etat comme structurant la convergence des actions intentionnelles des individus et des organisations. Dans le cas d’une ergodicité partielle, on peut parvenir à identifier des déterminismes locaux et temporaires, qui peuvent devenir pilotables par l’apprentissage et le progrès de la connaissance.

Les formations traditionnelles à la gestion de projet conviennent généralement au pilotage des projets déterministes, mais pas au pilotage dans un environnement non-déterministe (non ergodique). Or, dans une période de mutation technologique, l’alternance entre les deux dynamiques peut rapidement devenir floue. Un projet d’implantation d’un ERP pour remplacer un vieux logiciel RH propriétaire peut apparaître déterministe au départ. Mais la puissance de l’outil ERP est telle qu’elle peut interroger l’ensemble du système de GRH et le management des relations hiérarchiques. Ces logiciels, en effet, ne sont pas que des outils de traitement de l’information : ils embarquent un modèle d’organisation ; Le chef de projet initial de ce qu’il pensait n’être qu’un projet informatique peut rapidement se voir emmené au-delà de son mandat initial, dans des zones de haute turbulence…

Il va donc s’agir d’actualiser la base de connaissance.

Dans une dynamique évolutionniste, l’historien de l’économie Joel Mokyr identifie l’interaction de deux types de connaissances : la connaissance épistémique (ou théorique) qui est une connaissance déductive qui fournit les grandes bases théoriques sur lesquelles nous raisonnons, et la connaissance utile – ou empirique – qui est celle que nous mettons en œuvre. En période de rupture technologique, nos fondamentaux seront par définition rattachés à une connaissance théorique qui n’aura pas encore intégré toutes les dimensions du nouveau paradigme techno-économique. Il va donc falloir apprendre pour la mettre à jour.  La cration et l’intégration de nouveaux concepts ne peut se faire uniquement par apport exogène de connaissance, car l’apprentissage est un processus fondamentalement endogène qui procède de la rétroaction de l’expérience pratique sur la base de connaissance théorique : c’est la constatation d’un écart, d’une inadéquation entre la base théorique et la connaissance pratique qui va stimuler la création de connaissance nouvelle.

C’est le moment de nous rappeler ce que veut dire le mot « techno-logie » : c’est essentiellement du logos, de la connaissance qui va nous permettre de créer de la valeur avec la technique, qui elle est taciturne. C’est donc au logos de piloter la techné et non l’inverse ! Tout projet technologique innovant – donc qui ne se réduit pas à refaire ce que l’on sait déjà faire dans des conditions identiques – doit donc être avant tout un projet d’apprentissage, de création de connaissance si l’on veut développer une capacité de piloter le système ainsi créé.

1.3    PILOTER LA TECHNOLOGIE PAR L’ARCHITECTURE SYSTÈME

La démarche appropriée pour y parvenir est l’architecture système. De quoi s’agit-il ? Comme pour construire une maison, on part d’abord d’une vision de l‘artefact achevé, on définit comment on voudrait y vivre et l’on confronte ce rêve avec les contingences techniques.

Dans une organisation désirant piloter son évolution en utilisant les ressources de technologies nouvelles, cela va supposer un dialogue entre la direction générale en charge de la stratégie, et la direction des systèmes d’information (CIO), ou d’une manière générale un chief technology officier (CTO) en charge du pilotage de l’évolution technologique, un dialogue qui est celui entre le peut faire et le doit faire.

Dans le cas du système d’information, il faut distinguer ce qu’est le système technique, soit les machines et les logiciels et le système métiers qui sous-tend les processus de l’organisation. Le système d’information est constitué du système technique et du système métiers, les processus informatisés étant le reflet du système métiers.

Dans le dialogue entre direction technique et direction stratégique on évalue les opportunités nouvelles apportées par l’évolution technologique. Elles vont de l’optimisation des coûts et de la performance opérationnelle à l’identification de nouveaux métiers et de nouveaux modes d’organisation.

La cohérence de l’organisation réside dans l’isomorphisme à construire entre le système d’information et le système organisationnel. L’innovation dans les métiers doit être alignée sur l’innovation dans le système d’information et vice-versa.

Le pilotage stratégique doit prendre en compte les possibilités et potentialités d’évolution endogène du système tout comme les contraintes exogènes qui se posent à l’organisation : innovation externe, stratégies des autres acteurs, des fournisseurs, contexte institutionnel….

Dans ce dialogue, c’est toujours la stratégie qui doit avoir le dernier mot, pas la technologie, à peine de tomber dans des démarches techno-centrées qui vont conduire à des surinvestissements dans des technologies qui n’auront pas d’impact sur la performance dans le meilleur des cas, et peuvent mettre le fonctionnement même de l’organisation en péril (on se souvient de la catastrophe du projet Socrate à la SNCF !).

Ce dialogue stratégique va créer les conditions pour définir les cadres d’architecture dans lequel va s’inscrire le projet. Revenons à l’exemple de la smart city pour illustrer notre démarche d’architecture « en triangle ».

A la base de la ville, il y a des technologies, des outils, des logiciels, des machines… qui sont en interaction avec des utilisateurs qui sont les opérateurs des métiers et les utilisateurs finaux, les citoyens. La démarche techno-centrée va partir des technologies et définir un type d’habitant idéal pour utiliser ces technologies. Cela produit des villes prototypes comme Masdar, … qui n’ont pas d’habitants ! Le management a en outre développé des démarches de gestion de la « résistance au changement » où l’on part du postulat que les gens sont archaïques et ont tort de « résister au changement ». Ces démarches s’assimilent à de la propagande. A l’inverse, l’architecte peut disposer de nombreuses méthodes qui permettre de garantir l’adéquation entre une machine et son utilisateur.

Ces organes techno-organisationnels peuvent être considérés comme des briques de base de la ville, des configurations standards que l’on retrouvera dans toutes les villes mais qu’il s’agira d’adapter au contexte. On peut les comparer aux blocs de bases d’un jeu de cubes : ils sont standardisés mais peuvent être agencés en une multitude de configuration. C’est ce travail qui est à la source de l’innovation qui va permettre de définir des fonctions de la ville. Ces fonctions décrivent ce que la ville doit faire. Par exemple, à Singapour la fonction « transport » définit un temps de transport journalier qui ne doit pas dépasser 45 minutes. Ces fonctions seront opérationnalisées par agencement des briques de base et l’ensemble des fonctions définira le système de vie que doit être une ville. On partira donc toujours de la vision stratégique partagées par les parties prenantes de la ville.

En somme, on en revient à la MGBS (méthode gros bon sens) et le manager public devra se poser en permanence des questions basiques : A quoi ça sert ? Qui va s’en servir ? Quels sont les résultats désirables – et surtout indésirables – escomptés ? Quels sont les processus à maîtriser ? Quelles sont les fonctions impliquées ? Quand cela doit-il être fait?… Cela suppose que ledit manager ne se laisse pas charmer par le discours abscons des vendeurs de technologie qui n’est là que pour placer le client en état d’infériorité.

Une formation à l’architecture système – qui ne requiert aucune compétence technique particulière mais surtout du gros bon sens – éviterait les gaspillages énormes que nous avons évoqués et les projets ratés[1]. Une a existé au Ministère de l’Economie et des Finances. Elle a formé trois promotions de directeurs de projets à l’architecture système à la satisfaction générale. Elle a été supprimée et remplacée par un stage de formation aux marchés publics. La croyance dans la supériorité de la technique juridique sur l’intelligence a encore de beaux jours devant elle. Et ses catastrophes aussi.

*

[1] Selon le chaos report, de manière constante, 1/3 des projets technologiques échouent, 1/3 réussissent en explosant leurs couts et leurs délais, et seulement un petit tiers se déroule conformément aux attentes.

[1] Stochastique : capacité à atteindre un but par la génération aléatoire d’une multitude de possibilités. En pratique, il s’agit de plusieurs processus stochastiques convergents, car les conditions initiales ne sont pas stables, elles sont elles-mêmes modifiées par les impacts de l’intrant clé. Une technologie va modifier des modes de production, d’organisation et de relations sociales, qui vont à leur tour créer – ou non – les conditions pour le développement de telle ou telle technologie.

[2]  Le Monde du 28 décembre 1948, reproduit dans Culture Technique n° 21, Paris

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