La question du développement urbain, la seule question politique qui vaille!

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Ces élections françaises laissent un champ de ruines. Alors que, comme le remarque Jacques Sapir, les idées dites « souverainistes » sont majoritaires dans le pays, elles n’ont pas de représentation politique, tant sont grands les sectarismes et les incompétences. Jean-Luc Mélenchon tient la corde pour le sectarisme et Marine Le Pen pour l’incompétence. La tentative de débloquer le système par Nicolas Dupont-Aignan a fait chou-blanc en raison précisément de l’incompétence et de l’irresponsabilité de madame Le Pen. Au moins sait-on maintenant qu’elle doit quitter la scène et qu’il faut se débarrasser de ce boulet qu’est le FN. J’ai reçu beaucoup de propositions pour me présenter aux législatives que j’ai refusées : a) ce n’est pas mon métier, b) je ne crois pas à la démocratie représentative qui ne représente que les représentants, c) les compétitions électorales rendent stupides et rabaissent le niveau du débat vers des querelles infantiles, et d) je ne m’intéresserai aux élections qu’au jour où nous serons sûrs de prendre le pouvoir. D’ici là, il y a mieux à faire.

Changer par les idées d’abord

Un changement politique ne peut advenir que s’il y a eu un changement auparavant dans les idées dominantes. Le drame de la révolution bolchévique en Russie est qu’elle a été un coup d’Etat mené par des intellectuels qui étaient étrangers à la culture russe. Lénine était absent de Russie depuis vingt ans, Trotski était un dandy cosmopolite. Je passe sur leurs liens avec les services étrangers ravis de stimuler la décomposition de ce grand rival que pouvait être la Russie. Les  bolchéviques ont procédé de manière purement déductive, partant uniquement d’une théorie étrangère à la culture russe, profitant d’un corps social détruit par la guerre qu’ils ont abondamment massacré pour le modeler – pure chimère – à leur idéologie. Seul Staline était un prolétaire qui a russifié le marxisme, mais pas en reprenant le meilleur de la tradition politique russe, et a pu faire durer l’URSS, mais à quel prix !

La métropolisation comme ligne de fracture et comme idéologie

Or, ces élections ont fait apparaître une ligne de fracture qui pose LA question politique : la séparation entre métropoles et périphérie, entre une France mondialisée et des territoires perdus délaissés par les élites mondialisées. Ce qui est grave n’est pas cette coupure sociologique – qui est une réalité – mais qu’elle soit devenue une idéologie qui sacrifie délibérément la France périphérique : celle de la métropolisation. Celle-ci est définie comme «  le passage des systèmes urbains dans le monde de l’économie mondialisée, et plus largement dans celui de la globalisation des échanges et des réseaux de toutes natures : économiques, sociaux, scientifiques, culturels, etc. Les villes, et plus largement les espaces sous leur influence, doivent en prendre acte et s’inscrire dans cette dynamique en l’accompagnant et en rendant performants tout comme vivables les territoires dans cette finalité. »[1]. Les métropoles sont des systèmes urbains connectés à d’autres systèmes urbains dans le cadre de la mondialisation. Elles ne sont pas forcément fonction de l’importance de leur population : ainsi Toulouse forme plus une métropole grâce à la densité de ses réseaux liés à son industrie aéronautique qu’une ville comme Marseille, plus densément peuplée.

Dont acte, la métropole profite de la mondialisation qui connecte tout avec tout, mais au prix d’une croissance des inégalités. Cela résulte d’une loi identifiée dans la croissance des dynamiques urbaines, la loi de Zipf : tout se connecte avec tout mais ce qui est plus proche se connecte plus avec ce qui est plus proche. Autrement dit, les grandes villes vont manger les petites villes, amenant une concentration des centres de commandement et une hiérarchie de métropoles. Pour les tenants de « l’adaptation de la France à la mondialisation » il n’en faut pas plus pour prôner la concentration des centres de commandements par la fusion des communes. Pour la métropole toulousaine cela représente 342 communes….

Il s’agirait, pour nos élites, d’un courant irrésistible de l’histoire, oubliant que celle-ci est passée par des phases de mondialisation et de démondialisation, car la mondialisation loin de produire de la stabilité est facteur de déséquilibre. La métropolisation est une idéologie comme le rappellent Gérard François Dumont[2] et Christophe Guilluy, qui n’est pas corrélée à plus de performance économique comme le croient nos élites : beaucoup d’entreprises préfèrent s’établir dans des villes moyennes qui constituent un tissu social cohérent et stable que dans des métropoles qui sont sources de déséquilibre, d’instabilité et d’insécurité, phénomène analysé au niveau mondial par Saskia Sassen. Emmanuel Macron a bien compris cela, qui a remplacé le clivage gauche-droite par le clivage réel entre métropoles et périphérie, entre gagnants et perdants de la mondialisation. Dès lors, les classes dominantes déclarent la guerre au peuple de la périphérie qualifié de “fasciste”: la promotion de la mondialisation a trouvé son alibi moral.

La question urbaine, une question politique

L’enjeu politique est donc le développement urbain, enjeu mondial sur lequel j’ai déjà beaucoup écrit. Il se concrétise dans les options stratégiques porté par le courant des smart cities, ou villes intelligentes. Le courant dominant procède du solutionnisme technologique, si bien analysé par Evgueni Morozov, (votre problème doit être celui de la solution que j’ai à vous vendre), qui repose sur un positivisme radical où la réalité ne peut procéder que de la rationalité abstraite. Cette approche est celle des vendeurs de technologie au profit des vendeurs de technologies. C’est celle que j’ai appelée de la « collection de smarties » promue par A. Giffinger à l’Université de Vienne et adoptée par l’Union européenne qui n’est jamais en retard dès qu’il s’agit d’adopter une idée stupide et ridicule : pour elle, 90% des villes européennes sont des villes intelligentes…! Manants qui croupissez dans vos banlieues insalubres, réjouissez-vous !

Quand Jacques Attali, durant cette campagne, a parlé « d’anecdote » à propos des 300 emplois délocalisés en Pologne par Whirlpool et de la mise au chômage perpétuel des ouvriers, il exprimait le fond de sa pensée. Nos ligues de vertu ne l’ont pas relevé, alors que la formule est autrement plus choquante que le « point de détail » de Jean-Marie Le Pen. Celui-ci ne visait que la provocation verbale dont il avait fait son fonds de commerce, alors qu’Attali soutient réellement une mutation sociologique et anthropologique qui va faire disparaître la France old school, la France périphérique, ses ouvriers, ses paysans attachés à leur terroir et à leurs traditions, qui font de la famille une valeur. Bref, des populistes, au sens noble du terme.

Dans le monde d’Attali, n’existe que la Global city décrite par Saskia Sassen, celle des élites mondialisées, du 1% branché, entouré de sa ceinture d’immigrés low-cost pour les basses œuvres : il faut bien livrer les pizzas. La France périphérique est condamnée ne plus être qu’une « anecdote». Le programme d’Emmanuel Macron est de supprimer la commune, de fusionner les départements et les régions au nom du big is beautiful, d’une supposée rationalité économique qui n’est qu’apparente.

La métropolisation tourne le dos à la ville intelligente

En effet, si l’on analyse la dynamique urbaine à la lumière de la science des systèmes complexes, on voit que la stabilité d’un système est fonction de sa cohérence interne et de son enracinement dans un capital social du territoire, une histoire, une culture. L’exemple de Singapour, souvent cité par les tenants de la mondialisation, est en fait un exemple de l’inverse: Pour gérer son ouverture au monde, Singapour a avant tout renforcé sa cohérence comme système urbain, et plus que comme ville intelligente, comme « nation intelligente ». Pour s’ouvrir au monde, il faut d’abord renforcer son identité.

Car la ville intelligente pose la question de la démocratie, de la richesse de la vie locale, de la matrise des technologies numériques dans laquelle on va l’enserrer, du dynamisme du milieu innovateur. Une ville n’a pas attendu les technologies numériques pour être intelligente comme je le rappelle sans cesse. Une ville, ce sont des interactions créatrices entre des habitants et des activités économiques qui crée des rendements croissants. Une constante que l’histoire économique n’a de cesse de nous rappeler.

Je rappelle tous ces éléments dans ma présentation au Cercle Aristote:

[1] « Le processus de métropolisation et l’urbain de demain », DATAR 2013

[2] « Une idéologie de la métropolisation « Population et avenir, n° 722, 2015

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