Quand le protectionnisme devient inévitable

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Quand le protectionnisme devient inévitable

Par Laurent Pinsolle

 
C’est un livre important sorti pendant la campagne présidentielle. Franck Dedieu, del’Expansion, Benjamin Masse-Stamberger, de l’Express et Adrien de Tricornot, du Monde, ont publié « [amazon_link id=”2070134849″ target=”_blank” ]Inévitable protectionnisme [/amazon_link]» l’an dernier. Le signe d’un basculement des médias sur la question du libre-échange ?
 
 
 
Le besoin de protectionnisme
 
Il y a quelque chose d’extraordinairement réjouissant à lire sous la plume de journalistes del’Expansion, de l’Express et du Monde tous les constats poussés par Jacques Calvet, Emmanuel Todd, Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement il y a vingt ans, rejoints aujourd’hui par Nicolas Dupont-Aignan, Jacques Sapir ou Jean-Luc Gréau. Ils rappellent justement la croyance qui a animé nos dirigeants depuis tant d’années : « moins on entrave les mouvements des acteurs privés, mieux se portent le système économique et les différents agents qui le composent ».
 
Deux constatations sont venus remettre en cause la vision du monde des auteurs :l’explosion des inégalités salariales et les heurts de plus en plus violents du cycle économique, rappelant cette belle citation du Général de Gaulle : « le laisser-faire et le laisser-passer appliqué à l’économie (…) a souvent donné (…) au développement une puissante impulsion. Mais on ne saurait méconnaître qu’il en est résulté beaucoup de rudes secousses et une somme énorme d’injustices ».
 
Ils font une belle comparaison avec la guerre, citant Paul Valéry : « la guerre est faite par de braves gens qui s’entretuent sans se connaître au profit de gens qui se connaissent, mais ne s’entretuent pas ». Pour l’Europe et les Etats-Unis, les auteurs affirment que nous sommes dans un processus de « destruction destructice ». Reprenant une étude de la Banque Mondiale, ils affirment que la mondialisation en cours ne profite qu’à la Chine puisque s’il y a 517 millions de pauvres en moins, il y en a 627 millions de moins en Chine, ce qui signifie qu’il y en a 110 millions de plus ailleurs. Ils soulignent, en outre, que les modèles gagnants (Corée du Sud, Chine) sont protectionnistes.
 
Les auteurs affirment que « non pas que la libéralisation des échanges soit systématiquement à proscrire. Mais l’idée que celle-ci soit toujours, dans tous les lieux et tous les temps, la meilleure solution nous est de plus en plus apparue comme une folie ». En effet, ils constatent que tout cela produit du chômage et une paupérisation des classes moyennes et soulignent la logique absolutiste (pour ne pas dire autoritaire et anti-démocratique) des marchés. Ils se réclament d’une forme de libéralisme humaniste, équitable et tempéré et appelle par conséquent à un protectionnisme européen.
 
Pourquoi le libre-échange est une impasse
 

Les auteurs expliquent pourquoi l’Allemagne s’en sort mieux, rappelant aussi que « le pouvoir d’achat des salariés a constamment reculé (dans les années 2000) » : « l’usine du monde – la Chine – se construit avec des machines-outils allemandes. Et les nouveaux riches des pays émergents roulent dans des voitures allemandes ». Ils soulignent également que l’Allemagne a largement délocalisé la production de composants dans les pays d’Europe orientale, jusqu’à certains services (des grands hôtels de Berlin faisant laver et repasser leurs draps en Pologne pour baisser les coûts).

 
Ils démontent de manière très réussie la logique délétère de la mondialisation. Il développe longuement l’exemple de Siemens, qui signe en 2004 un accord avec les syndicats qui baisse de 30% le coût du travail pour son usine de téléphones mobiles (passage de 35 à 40 heures de travail pour le même salaire, avec suppression du 13ème mois) en menaçant de délocaliser en Hongrie. Puis en 2005, le groupe vend son activité à un groupe taïwanais, BenQ, qui met en cessation de paiement sa filiale allemande l’année suivante, laissant 3000 salariés sur le carreau.
 
Pour eux, le libre-échange durable ne peut se faire qu’avec des pays similaires, citant Gabriel Galand et Alain Grandjean. Ils notent le rôle déterminant de la libre-circulation des capitaux, qui instaure une pression à la baisse sur le coût du travail. La Chine a accéléré le mouvement avec son entrée dans l’OMC en 2001. Ils soulignent que les pays européens ont des « désavantages compétitifs » dans cette mondialisation du fait d’une monnaie chère, de salaires élevés, une protection sociale avancée financée par une fiscalité importante, ce qui pousse les multinationales à délocaliser leur base fiscale.
 
Les auteurs ont compris que la convergence des salaires n’est pas possible en constatant qu’Adidas se plaint de la hausse des salaires en Chine et délocalise au Laos. Plus globalement, ils constatent une folle course au moins-disant salarial, social, fiscal et environnemental. Ils dénoncent l’immense casse sociale qui se produira en attendant que les salaires convergent à l’échelle de la planète. Ils citent Maurice Allais, pour qui « un libre-échange total entre l’UE et la Chine conduirait rapidement soit au développement d’un chômage démesuré, soit à un abaissement général des niveaux de vie européens ».
 
Virulents, ils dénoncent « la mise à mort des classes moyennes », citant Paul Samuelson, pour qui « pouvoir acheter de l’épicerie 20% moins cher chez Walmart ne compense pas nécessairement la perte d’un salaire ». Pour eux, le tournant du siècle a fait passer les classes moyennes dans le camp des perdants de la mondialisation. Ils citent les études d’Elizabeth Warren qui a démontré que leur pouvoir d’achat a significativement baissé depuis les années 1970, malgré le développement du travail des femmes. Ils notent que Paul Krugman, dans « L’Amérique que nous voulons » rappelait que le revenu médian a reculé de 12% depuis 1973, alors que celui des 1% les plus riches a doublé et celui des 0,1% a quintuplé.
 
Ils posent la question qui fâche : « et si cette paupérisation était liée à la manière dont la mondialisation a été organisée ? » et soulignent la perte de 2 millions d’emplois industriels en France. Pire, ils rapportent que que les délocalisations touchent le domaine des services, des études estimant le potentiel des emplois délocalisables entre 10 à 25% du nombre d’emplois total ! Ils soulignent que « le modèle cantonnant l’Occident aux activités de conception échoue à intégrer les différentes couches sociales ». Ils notent que « la classe moyenne d’Etat, longtemps préservée de cette loi de la jungle, est désormais dans la ligne de mire, du fait de l’appauvrissement des Etats, privés de base productive ».
 
« Inévitable protectionnisme » fournit un argumentaire, qui, à défaut d’être nouveau, est particulièrement complet et bien illustré par des exemples très parlants. En outre, il n’est pas issu de cénacles suspects d’a priori souverainistes ou anti-libéraux primaires…
 
 
Source : «[amazon_link id=”2070134849″ target=”_blank” ] Inévitable protectionnisme[/amazon_link] », Franck Dedieu, B Masse-Stamberger, A de Tricornot, Gallimard
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