Panama papers: regarder la lune ou le doigt?

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Le coup de maître des USA

L’affaire est trop belle pour être crédible: une organisation de journalistes d’investigation bénévoles, un lanceur d’alerte qui garde l’anonymat, des personnalités politiques bien choisies qui sortent du chapeau… tout cela est trop beau pour être vrai.

Comme le relève Jean-Pierre Chevénement, tout cela est du travail de professionnels qui ont pu faire tourner de puissants algorithmes sur de puissantes machines. Faire émerger du sens de la masse de données considérables que l’on nous annonce demande beaucoup de métier dans le traitement des algorithmes qui n’est pas à la portée d’un groupe de 180 journalistes d’investigation…. à moins de savoir ce que l’on cherche et qu’il s’agisse de monter un dossier à charge contre des personnes désignées à l’avance.

Il est quand même curieux que le président Vladimir Poutine apparaissent en tête des personnalités cibles en ressassant cette histoire “d’homme le plus riche du monde” propagée par les services américains, de manière très indirecte et ancienne, alors qu’aucun américain n’est dans la liste (il paraît qu’ils ne cachent pas leur argent au Panama qui serait bon uniquement pour les “losers”). Pour Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, l’opération a été financée par les Etats-Unis dans le but (mais pas le seul, on va le voir) de nuire à Wladimir Poutine.

Ce changement de méthode est reconnu par les journalistes de la Süddeutschezeitung: La gestion ascendante des données demande des algorithmes sophistiqués pour tester des rapprochements entre données élémentaires qui ne font pas sens en elles-mêmes. Mais si l’on procède de manière descendante en faisant des recherches sur des listes de noms – des cartographies de réseaux de personnalités cibles – l’opération devient beaucoup plus simple: il ne s’agit plus que de faire tourner une fonction “rechercher” dans des documents scannés, ce qui est à la portée de tout le monde!

Pour que l’opération soit plausible et crédible il faut noyer ces dénonciations ciblées dans des masses d’informations réelles. Jacques Sapir rappelle que tout mensonge doit être enrobé de 90% de vérité, vieille technique des services de renseignements et de désinformation. Il faut ici mentionner la différence entre les pratiques journalistiques d’un journal comme Le Monde qui a une longue liste de casseroles à son actif en matière de désinformation et de révélations de scoops qui s’avèrent rapidement être bidons, et celle de Elise Lucet et de son magazine Cash Investigation qui est restée à l’écart de cette opération de manipulation pour s’en tenir aux faits. Le Monde est un journal militant, pro-occidental, européiste – tout comme la Suddeutsche Zeitung d’ailleurs – dont l’obsession est le Président Poutine et, de manière rituelle et pathologique,  Marine Le Pen.

Enfin il faut regarder qui finance tout cela et l’on retrouve le magna Georges Soros. Là encore, la dilution est la règle: les financeurs du ICIJ sont multiples et ses enquêtes ne procèdent pas toujours de commandes de ses sponsors…

Et pour finir, y avait-il besoin de ce mystérieux lanceur d’alerte, le fameux John Doe (Monsieur X en anglais), pour accéder à ces informations? Le site de Mossack Fonseca est fort peu sécurisé et pour certains experts, il suffisait de se servir et l’affaire se résumerait à un simple piratage informatique dont Mossack Fonseca avait elle- même averti ses clients!

Bref, dans cette affaire il y a plusieurs lunes et plusieurs doigts, et il serait alors plus raisonnable de regarder le sage et d’essayer de comprendre sa stratégie, en appliquant simplement le vieil adage: à qui le crime profite?

Les Etats-Unis feraient ainsi coup double:

  • Monter  une opération de déstabilisation contre leur adversaires – toujours au nom de “la morale “ – d’autant plus crédible qu’il ne s’agit pas d’une attaque isolée mais de noms sortis des mains innocentes d’honnêtes journalistes parmi des milliers d’autres, et…
  • … organiser le retour aux États-Unis des sommes envolées vers des paradis fiscaux… qui ne seraient pas encore situés aux États-Unis puisque ce pays est le plus grand paradis fiscal du monde!

Cet article du 14 mars (avant la parution des Panama papers) de Raphael Cohen paru dans l’Agefi explique magistralement la manœuvre!

CR


 

lundi, 14.03.2016

Ceux qui transfèrent des actifs aux Etats-Unis auront une surprise de taille mais surtout… très coûteuse.

Raphaël H. Cohen*

D’après mon humble analyse, les Américains sont en train de déployer un plan diabolique qui va renflouer le trésor américain. La beauté du plan est que, sa finalité ne sautant pas aux yeux, la plupart des gens ne s’en méfient pas. De plus et surtout, il est presque imparable.

Rembobinons le film à la case départ pour voir à qui profite le crime, pour ensuite comprendre à qui il va encore plus profiter: Le premier acte a commencé avec Fatca, qui a conduit les «US persons» à ne plus trouver refuge pour leurs actifs non déclarés. Le premier effet évident est bien sûr de faire payer les impôts à ceux qui y ont échappé auparavant. Mais le deuxième effet est que ces détenteurs, n’étant plus bienvenus auprès des établissements étrangers, sont très tentés de rapatrier leurs fonds dans des banques américaines. Cela a bien sûr renforcé ces dernières en augmentant leur profitabilité tout en affaiblissant leurs concurrents étrangers. Ceux-ci ont, non seulement vu leur masse sous gestion fondre, mais ils ont, de plus, dépensé une fortune pour assurer la compliance à Fatca. Evidemment, et en l’absence de réciprocité, les banques américaines n’ayant aucune contrainte, elles ont largement pu profiter de ce cadeau.

Le deuxième acte se joue en tête à tête avec la Suisse, mais avec des retombées mondiales: c’est l’accord de non-poursuite que les Américains ont imposé à la Suisse et selon lequel les banques suisses qui hébergeaient depuis 2008 des actifs appartenant à des US persons doivent s’acquitter d’une pénalité comprise «seulement» entre 20 et 50% de ces actifs. Ici, les rentrées se chiffrent en milliards avec un coût dérisoire pour les Américains: juste quelques fonctionnaires pour taxer les «self-disclosures» qui se sont auto dénoncées et utiliser les documents auto incriminants reçus des banques suisses pour maximiser le montant des pénalités. Si certains n’ont pas hésité à qualifier cette manœuvre de racket, la seule chose qui est certaine est que le retour sur investissement de ce business model dépasse les phantasmes les plus audacieux. Comme toutes les banques étrangères ont évidemment compris que ce qui est arrivé aux banques suisses peut aussi leur tomber sur la tête, elles se débarrassent aussi de leurs US persons.

Le troisième acte s’est joué dans le cadre de l’OCDE. Ici aussi les Américains ont réussi un «coup-coût»: un coup magistral avec un coût nul. Tous les pays, sauf les Etats Unis, se sont engagés à mettre en œuvre la Norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale de l’OCDE (EAR). Cela a pour effet de faire fuir tous les actifs non déclarés et non déclarables vers les paradis fiscaux qui ne posent pas trop de questions et qui surtout ne transmettent pas d’informations sur les détenteurs étrangers. Comme presque tout le monde a signé l’EAR, il reste évidemment très peu de pays-refuge. Le hasard faisant bien les choses, le seul pays signataire de l’EAR qui bénéficie d’une exception au devoir de transmission est… les Etats Unis (ils sont vraiment très forts!!). Cela en fait la star des rares pays pouvant accueillir les actifs qui fuient les pays engagés à transmettre les informations dans le cadre de l’EAR. Comme les banques américaines ne doivent pas transmettre, qu’elles sont beaucoup moins pointilleuses sur l’origine des actifs qui arrivent chez elles et comme l’identité du bénéficiaire économique des sociétés écran n’est pas requise, cela permet d’assurer à tous ceux qui ne sont pas des US persons une discrétion fiscale comparable celle qui existait en Suisse avant la tempête. Un vrai coup de maître des négociateurs américains.

Résultat des courses, et c’est le quatrième acte, lorsque les banquiers suisses expliquent à leurs clients qu’ils doivent trouver un autre établissement pour accueillir leurs actifs non déclarés, ils s’affaiblissent doublement: d’abord en fâchant leurs clients renvoyés et ensuite en réduisant leur masse sous gestion. Mais les banques américaines faisant heureusement preuve d’une compassion sans limite, elles acceptent de manière tout à fait bienveillante ces clients éconduits avec leur actifs non déclarés. Dans les grandes épreuves de l’humanité, les Américains ne peuvent s’empêcher d’être des sauveurs. Malgré cet «altruisme» circonstanciel, ils y trouvent quand même leur compte du fait que le malheur des uns fait le bonheur des autres…

Il apparait donc que les Américains ont, jusqu’à présent, fait un parcours sans faute. Ce sont même les seuls à tirer leurs marrons du feu en profitant d’un transfert massif d’actifs vers leurs paradis fiscaux (Delaware, Nevada, Wyoming et autres) en profitant notamment du fait que leurs institutions ne sont pas soumises à l’obligation de transmettre les informations de l’EAR. Pendant ce temps, les banquiers suisses, bientôt suivis par leurs concurrents non-américains, se consument avec moins de revenus et des charges de compliance astronomiques, auxquelles les banques américaines échappent joyeusement.

Puisque la partie historique s’arrête là (pour l’instant!), j’ai pris la liberté d’imaginer la suite du scenario. Peut-être que les coups de ce subtil jeu de go ne seront pas tous mis en œuvre mais le dernier acte est presque inéluctable. Pourquoi un jeu de go? Parce que dans ce jeu, le perdant réalise trop tard qu’une série de manœuvres apparemment non liées aboutissent à son encerclement qu’il n’a pas vu venir. C’est là qu’il se tape le front ou éclate en sanglots en disant qu’il s’est bien fait avoir.

Le prochain round consistera pour les Américains à intensifier la pression pour faire en sorte que le seul refuge vraisemblable pour les actifs non déclarés soient les banques des paradis fiscaux américains (sauf pour les américains qui sont déjà faits comme des rats, du fait qu’ils sont déjà devenus persona non-grata presque partout). Pour bétonner leur attractivité, il suffira aux Américains de répliquer les méthodes mises au point avec les Suisses et peut-être même d’en inventer de nouvelles. La clé étant évidemment de décourager les titulaires d’actifs non déclarés de les laisser ailleurs qu’aux Etats Unis. La convention de l’OCDE agit ici comme un magnifique cheval de Troie: sauf si quelques grandes puissances dessaoulent, son application aboutira à faire fuir les actifs non déclarés vers les paradis fiscaux américains. A ce stade, il n’y aura plus d’autre alternative.

Quand l’étau se sera resserré autour de ceux qui ont encore des actifs non déclarés en dehors des Etats Unis et que l’essentiel de ces actifs seront hébergés aux USA, bien sûr dans des banques essentiellement américaines, l’heure sera venue pour le coup de grâce: faire en sorte que les détenteurs étrangers d’actifs hébergés aux USA deviennent des… sujets fiscaux américains. Ceci permettra évidemment de les taxer et de toucher le jackpot.

Les Suisses ont d’ailleurs déjà découvert à leurs dépens que les Américains peuvent faire preuve d’une créativité débordante pour faire évoluer, évidemment à leur avantage, les critères définissant une US person. L’assujettissement que je prédis ici est donc loin d’être impensable…

Pour ceux qui ont encore des doutes, je rappelle que l’étranger non-résident qui détient plus de USD 60’000 d’actifs domiciliés aux Etats unis** est actuellement d’office soumis à l’impôt successoral américain. Il suffirait de peu de choses pour que le détenteur d’une société off-shore américaine n’y échappe pas, et c’est peut-être même déjà le cas. Pour l’instant, cet assujettissement ne concerne que les droits de succession mais, avec un précédent pareil, il n’est pas impossible non plus d’étendre cet assujettissement à d’autres impôts.

Cette extension est d’autant plus facile qu’elle concerne des sujets fiscaux étrangers et qui ont, de surcroit, triché en ne déclarant pas leurs actifs dans leur pays de résidence. Comme les imposer ne serait que justice, personne, à part eux, ne s’en plaindra. Étant eux-mêmes en infraction, ils n’auront aucun recours face à une telle manœuvre et il leur restera juste les yeux pour pleurer.

A partir du moment où les détenteurs de ces actifs non déclarés dans leur pays deviendront des sujets fiscaux américains, ils seront taxables à souhait, d’autant plus qu’il ne leur sera plus possible de déménager leurs actifs hors des USA sans passer à la caisse. Cela se traduira par des entrées fiscales colossales qui permettront de combler une bonne partie du déficit américain. Comme aucun gouvernement au monde ne pourra s’offusquer du fait que ses propres sujets fiscaux-fraudeurs ont été pris la main dans le sac et que le déficit américain est réduit par la même occasion, les Américains ne devraient rencontrer aucune résistance sur leur chemin. Bref, que du bonheur pour tout le monde, sauf pour les dindons de la farce: les détenteurs d’actifs non déclarés.

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p style=”text-align: justify;”>Il apparait à la lumière de ce scenario très vraisemblable que la relocalisation d’actifs aux USA pour échapper à l’échange automatique d’informations est le piège pour se retrouver, dès que le reste du plan aura été mis en œuvre, tout simplement… «échec et mat». Pour leur éviter un réveil trop brutal avec une ponction douloureuse, il serait peut-être opportun de partager cette analyse avec les candidats qui envisagent de domicilier leurs actifs non déclarés dans des entités ou trusts américains.

La conclusion qui peut tenter certains est de domicilier leurs actifs non déclarés en Chine, un des seuls pays capables, pour conserver ses paradis fiscaux, de résister à la pression des Etats Unis. Le seul hic est qu’il encore plus facile pour les Chinois de faire exactement la même chose que ce que j’annonce pour les Américains. Ce serait échanger un cheval américain borgne contre un cheval aveugle chinois…

A moins d’un retournement de situation forçant les Etats-Unis à faire preuve de la même transparence que celle imposée au reste du monde (mais je ne vois ni qui, ni comment), je crains qu’il n’y ait pas d’issue pour échapper au piège: les dés sont jetés, le vin est tiré et les pécheurs fiscaux vont le boire.

  • Université de Genève

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